Aides à la presse : il est grand temps de remettre tout à plat…

Comment  rendre les aides d’Etat à la presse plus justes et efficaces ? Issues d’un système poussiéreux, elles ne favorisent pas assez le pluralisme ni l’innovation éditoriale.

L’aide à la presse en France ne date pas d’hier. Une bonne part du système remonte à la Libération et ses fameuses ordonnances de 1944. Il s’agissait alors d’une refondation profonde de la presse destinée à assurer son indépendance à l’égard des pouvoirs d’argent et du politique. L’idée était aussi de garantir le pluralisme de l’information.

D’où la création à l’époque de l’AFP, une coopérative d’information financée en partie par ses membres, en partie par l’Etat, et dont la représentation paritaire assurait son indépendance théorique. D’où également la mise en place d’une aide de l’Etat à la presse d’Information générale, celle qui remplit une mission citoyenne coûteuse qui consiste à enquêter, vérifier l’information, envoyer des journalistes sur place…

ABOLIR LES AIDES DIRECTES ?

C’est la proposition phare du Spiil – le syndicat de la presse indépendante d’information en ligne – dont le manifeste en 10 points entend rénover profondément la presse en général et pas uniquement la presse en ligne.

Le Spiil organisait la 3e journée de la presse en ligne, le 19 octobre 2012, notamment sur ce thème

Les organisateurs ont tenu à débuter la journée avec quelques chiffres qui traduisent un terrible constat d’échec : les aides directes non seulement n’aident en rien le pluralisme de l’information, mais elles sont même une forme de distorsion de concurrence qui favorise les plus gros.

Nicole Bricq, actuelle ministre du commerce extérieur, à l’époque sénatrice PS, a révélé des chiffres éclairants dans un rapport sur la situation en 2010.

Le Monde est la société qui a touché la plus grosse aide en 2010 :  17 millions. Viennent ensuite Le Parisien (16,7 M), Libération (14 M), Le Figaro (13 M), Ouest France (11 M), France Soir (6,5 M)… Au total 50 % du montant total des aides directes bénéficient à 2 % des titres aidés.

Par ailleurs, l’usage de ces aides, souvent discutable, constitue même quelquefois un gâchis manifeste dans l’utilisation de l’argent public. En atteste l’exemple de France Soir, dont le naufrage montre à quel point les sommes investies, l’ont été en pure perte.

Jean-Marie Charon, sociologue des médias, prend la parole dans la salle pour attirer l’attention du Spiil sur le renversement philosophique qu’une disparition des aides directes induirait. Il ne s’agirait plus d’une aide au pluralisme de l’information, mais d’une aide à la presse en place.

Pour Edwy Plenel, ce pluralisme n’existe plus, de toutes façons. Le système de l’information est selon lui totalement corrompu par les pouvoirs d’argent. Il cite ces banques qui contrôlent des groupes de presse, ces industriels qui possèdent des groupes médias tels Bolloré ou Dassault. Il aurait pu ajouter Claude Perdriel (Le nouvel Observateur) ou Pierre Bergé (Le Monde) à gauche. Sans parler de ce cas d’école : Jean-Michel Baylet (président des radicaux de gauche) qui possède tout simplement la Depêche.

Sans parler des connivences et relations politico-journalistiques plus moins incestueuses, quand il n’y a pas tout simplement fusion (George-Marc Benamou, Catherine Pégard, Myriam Levy etc.)

Un flot non contrôlé – © glouk via flickr.com

DES AIDES SURTOUT MAL ATTRIBUÉES ET MAL CONTRÔLÉES

Michel Francaixsénateur PS et président du groupe d’étude sur la presse à l’assemblée nationale et André Gattolin, sénateur d’EELV et ancien journaliste à Libération étaient là pour discuter des propositions du Spiil. L’absence de tout représentant du gouvernement a résonné comme un signe notable d’évitement de ces questions par le pouvoir exécutif.

Les deux s’accordent sur la mauvaise répartition des aides à la presse. Pour André Gattolin le problème, c’est que le dispositif date d’une époque où il finançait l’information des quotidiens qui employaient de nombreux journalistes. Mais les années 80 ont vu l’irruption de magazines fonctionnant avec peu de journalistes, financés par la publicité et ne remplissant pas vraiment une mission d’information citoyenne, mais plus de loisirs. Ensuite les systèmes d’aide se sont accumulés, sans qu’il y ait de réflexion globale.

Toutefois, le député Vert  n’est pas favorable à la suppression des aides directes comme le préconise le Spiil, car cela mettrait selon lui, la presse traditionnelle en difficulté. Michel Françaix est du même avis : « Il faut tout simplifier, mais pas davantage, disait Einstein ».  Il est crucial selon lui, de continuer à aider la presse et notamment au niveau de sa distribution (Presstalis prépare un grand plan social).

Pour Pierre Haski, attention à ne pas défendre des privilèges qui n’ont plus de raisons d’être. Il raconte qu’à l’époque où il bataillait pour l’élaboration spécifique des éditeurs de presse en ligne, acquis en 2009, un patron de presse lui avait lancé un édifiant : « et tu veux pas des ouvriers du Livre en plus ? ».

Selon Michel Francaix, c’est surtout sur l’aide indirecte qu’il faut agir, en différenciant les taux de TVA réduits selon la nature citoyenne ou pas des contenus qu’ils offrent au lecteur. « Il n’y peut y avoir d’aide juste qu’inégalitaire » estime-t-il. Il n’est pas normal que le « Quotidien du médecin » ultra-rentable et traitant de sujets professionnels, bénéficie du même taux réduit à 2,1% que Libération…

Par ailleurs, il faut que les journaux respectent le jeu de la coopérative au niveau de la distribution. S’ils souhaitent passer par leur propre réseau ou via un concurrent, pour éviter de s’acquitter de leurs cotisations, ils doivent alors sortir du système d’aides qu’ils touchent de la collectivité. On ne saurait gagner sur tous les tableaux…

Tous sont tombés d’accord en revanche, sur la nécessité de mieux contrôler l’usage des aides attribuées.  Les abonnements réduits pour les jeunes encouragent-ils vraiment la lecture des jeunes ou celle de leurs parents ?  Les millions attribués pour la modernisation des journaux ont-ils été intelligemment dépensés ? On peut en douter dans de nombreux cas relevés par Mediapart.

MAIS SUR QUEL CRITÈRES ATTRIBUER LES SUBSIDES ?

Le statut IPG (information politique et générale) justifie-t-il globalement le niveau des aides reçu, quand les grands journaux se diversifient dans des magazines thématiques de loisirs (golf, auto, santé…). A l’inverse, un même article évoquant le lancement de Free, est-il moins intéressant et utile au lecteur quand il paraît sur un site d’information high-tech, que lorsqu’il paraît dans Les Echos ?

Une représentante du syndicat de la presse magazine réagit dans le public et dénonce la vindicte des débateurs à l’encontre des magazines. Elle donne l’exemple de « Liaison sociale » qui n’est pas moins utile sur le plan citoyen qu’un quotidien national. Attention à ne pas discriminer par les contenus !  plaide-t-elle. D’autant que le fonctionnement de la Commission paritaire des Agences et Publications (CPAP) qui décise du classement des titres de presse et partant des niveaux d’aide applicables, lui semble totalement bizantine.

Une question complexe donc, qui nécessitera un examen au cas par cas et pose en filigrane la question de la composition des instances de contrôles, au niveau des éditeurs ou des journalistes (via la Commission de la carte de presse).

SUPPRESSION DE L’ABATTEMENT FISCAL DES JOURNALISTES ? 

C’est l’une des mesures réclamée par le Spiil et dont la proposition parlementaire vient d’être rejetée. Cette réforme, initiée par les gouvernements successifs et repoussée à chaque fois, suscite des résistances moins du côté des journalistes, que des éditeurs de presse. En effet l’abattement fiscal de 7650 euros pour frais professionnels est aussi défalquée des charges sociales de l’entreprise. Elle permet en outre de payer moins cher les journalistes. C’est donc une forme d’aide indirecte à la presse qui n’est pas négligeable .

Pour le Spiil, il faut davantage payer les journalistes et renforcer les aides indirectes, mais cet abattement ne se justifie plus. Il date d’une époque où les frais des journalistes étaient sans commune mesure avec ceux d’aujourd’hui. Avant les téléphones portables, les transports en commun, Internet. (Et surtout, à une époque où les journalistes payaient leur place de cinéma ou de théâtre, pour éviter tout copinage NDLR).

Par ailleurs, le problème c’est que cette mesure entame la confiance des citoyens envers les journalistes, comme en témoigne notamment cette pétition-rumeur qui circule par e-mail (capture ci-dessous). Et surtout ce baromètre de confiance des Français vis à vis des médias où la presse écrite perd 3 points à 35% seulement d’opinions favorables.

ET LA TAXE GOOGLE ?

Pour Edwy Plenel, la presse n’a rien compris aux enjeux économiques actuels. Déjà dépendante de Google dans cette course effrénée à l’audience et aux budgets publicitaires, la presse serait doublement asservie par cette redevance en provenance de leur principal diffuseur.

Non, les éditeurs au contraire doivent maîtriser davantage leur canaux de diffusion et de distribution, notamment via des plate-formes communes. A l’image du kiosque ePresse, hélas réservé encore aux éditeurs du papier qui y vendent leurs pdf.

A quand un kiosque numérique et print réclame Laurent Bérard-Quélin (Président de la Commission des médias électroniques) ? Que les gros laissent aussi de la place aux petits !

Car c’est la conclusion du dernier débat de la journée sur l’innovation : il faut coopérer davantage, s’unir, partager les outils (les CMS notamment), les savoir-faire pour avoir une chance de résister aux géants du web. Et économiser ainsi sur les subsides publiques

Cyrille Frank

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