Twitter devient diffuseur TV : pourquoi cette stratégie est vouée à l’échec

Twitter poursuit sa stratégie de live streaming. Le site de microblogging vient en effet de conclure un nouvel accord pour diffuser trois émissions de Bloomberg. Voilà pourquoi cette stratégie ne fonctionnera pas.

Ceci fait suite à ses annonces récentes d’acquérir les droits de diffusion de gros évènements américains. En 2016, Twitter va diffuser en streaming 10 matches de football américain du jeudi soir, co-diffuser les conventions démocrates et républicaines, et négocierait aussi avec la NBA et la MLS (football)…

Cet été, le réseau social a d’ores et déjà effectué des essais en diffusant les plateaux d’ESPN pendant Wimbledon. L’idée derrière l’acquisition de droits sportifs serait donc de diffuser d’un côté de l’écran l’évènement, et de l’autre les tweets qui y sont associés. Voir ci-dessous :

winbledon-1024x678

Séduisante sur le papier – Twitter devenant un vrai média et non plus un agrégateur de contenus – cette stratégie semble coûteuse et vaine.

1- Twitter n’apporte rien de plus à l’usager

Twitter est LE média de l’instantané. Sur ce terrain, il dévore les chaînes d’infos et les agences de presse. Il est le lieu de conversation lors d’évènements « communautaires » (sports, conférences, programme tv), voire nationaux (attentats, élections). Mais hors de l’actu très chaude, Twitter a du mal à exister.

On comprend dès lors, son besoin de développer  sa « puissance événementielle » hors des surgissements dramatiques de l’actualité. D’autant plus que ses concurrents l’attaquent sur l’instantanéité : Snapchat en premier lieu, notamment auprès d’une cible jeune, et Facebook et son outil Live.

Mais reste LA question principale : quel est le bénéfice pour l’utilisateur ?

Twitter publie régulièrement et depuis de nombreuses années, des études qui montrent que la plupart des Twittos devant leur écran télé, zappent d’une main et tweetent de l’autre. C’était le principe même du Bein Center sur Bein Sport 2 pendant l’Euro, par exemple.

Si le téléspectateur-twittos fait déjà cela dans son canapé, avec son téléphone à la main ET en bénéficiant du match sur grand écran, quel intérêt pour lui de diviser son écran en deux ? D’autant plus si cet écran est celui de son smartphone (90% des vidéos vues sur Twitter le sont sur mobile).

Gagner de nouveaux utilisateurs via des matches de Football américain diffusés sur un demi-téléphone semble utopique.

2. La télévision a moins besoin de Twitter, que Twitter de la télé

Oui, Twitter impacte les audiences télé, mais les audiences télé impactent encore plus Twitter.

Dans une étude de 2013, Nielsen prouvait une corrélation entre une augmentation du volume de tweets et une augmentation de l’audience télé. Mais Nielsen d’insister également que la corrélation ne prouve pas la causalité.

Par ailleurs, selon une étude (2013) du cabinet NPA Consulting, cette influence reste limitée. Un buzz Twitter de 10% (10% de tous les tweets produits sur cette période) se traduirait par seulement 1 point d’audience TV.

Une autre étude Nielsen montre l’influence réciproque de la télé sur Twitter. L’audience d’un programme télé linéaire (vu par l’ensemble des téléspectateurs en même temps) a été influencée par Twitter dans 29% des épisodes étudiés. Mais l’audience tv a eu un impact sur le volume de tweets dans 48% des programmes.

twitter-causation-image-1
©Nielsen 2013

Le rapport de force n’est donc peut-être pas celui que Twitter laisse croire.

3. Les médias traditionnels ont besoin des data de Twitter, pas du média

En 2013, Twitter rachète la startup Bluefin Labs qui associe la mesure d’audience télé au comportement des Twittos. La même année, Twitter forme un partenariat avec Nielsen pour un baromètre des conversations Twitter en relation avec des programmes télé (Twitter TV Ratings).

Parce que c’est bien ce que Twitter a de plus précieux à offrir aux acteurs de ce vieux média qu’est la télévision : la DATA. Qui parle de mon programme ? En quels termes ?

Cette année là aussi, Twitter lance Amplify à destination des annonceurs et des médias : la possibilité de streamer des vidéos (sponsorisées) d’un programme télé dans le flux Twitter.

twitter-amplify-mediaculture-fr_-1024x820

Exemple d’utilisation d’Amplify par TF1

Un produit qui venait clairement concurrencer Youtube et qui a poussé Twitter à ne prélever que 30% des revenus générés par ce service, contre 45% chez Youtube. Et pas un grand succès succès malgré cela.

4. Twitter transforme ses partenaires télé en concurrents

Avec un bassin d’audience bien plus petit qu’une chaîne de télévision (21 millions de téléspectateurs sur M6 pour la finale de l’Euro, c’est à dire 44% des internautes français, et presque deux fois le nombre d’utilisateurs de Twitter en France), que peuvent-ils espérer ? Attirer des annonceurs qui n’ont pas les moyens de s’afficher en télé pendant le débat de l’entre deux-tours ? C’est aussi ce que cherchent à faire les diffuseurs en retransmettant, qui les matches de l’Euro, qui les matches de Roland Garros sur leur site web…

En ce qui concerne les conventions démocrate et républicaine américaines, Twitter va co-diffuser en streaming ce que CBSN (CBS News, site web d’actu du network CBS) va lui-même diffuser en streaming.

Ce faisant, Twitter va davantage promouvoir CBSN que démontrer sa faculté à proposer lui-même du streaming live.

5. Une stratégie non rentable, sauf en termes d’image : on habille la mariée ?

M6 et TF1 – les diffuseurs ‘gratuits’ de l’Euro de football en France – reconnaissent avoir perdu de l’argent, malgré des audiences exceptionnelles et des prix de ventes publicitaires records. Et on parle là d’acteurs nettement plus aguerris dans la vente d’espaces publicitaires que Twitter, et d’un média (la télé) nettement plus profitable que le digital.

Acheter des droits de diffusion est une option particulièrement risquée pour Twitter, étant donné leur prix élevé, même sans exclusivité. D’ailleurs, acheter des droits d’évènements non-exclusifs – qu’on peut retrouver sur d’autres supports – même moins chers, semble la pire des options : encore une fois pourquoi l’utilisateur regarderait sur petit écran ce qu’il peut voir sur grand ?

Faire des partenariats de diffusion, avec partage de revenus semble plus raisonnable de ce point de vue. C’est d’ailleurs la stratégie menée par Youtube, Facebook ou encore Linkedin. Mais avec une grande différence de méthode : ces derniers incitent les éditeurs à publier eux-mêmes, en leur faisant miroiter un meilleur reach pour leurs contenus. Point besoin de partenariats, de négociation. Ils proposent juste les outils de publication à tous, pour offrir aux lecteurs une meilleure expérience via un chargement plus rapide.

D’où la réflexion des dirigeants Twitter sur la nécessité de mettre fin à la limite des 140 caractères, limite intrinsèque du réseau à cette évolution que tous les autres proposent et qui leur réussit bien.

Une chose est sûre cependant, ces annonces de rapprochement avec la télé servent l’image de Twitter, et font grimper le prix de son action. Une stratégie qui fait sens, si l’objectif des dirigeants de Twitter est surtout d’habiller la mariée, pour mieux la vendre.


Sarah Berthault
Consultante senior en stratégie cross-média TV

Sur Linkedin
Sur Twitter
Sur mediaculture.fr

POUR ALLER PLUS LOIN :

Crédit photo : Gary Lund via Flickr.com en CC

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *