Les mécanismes séculaires de l’influence médiatique

Les « influenceurs », interprètes des autochtones du web, sont les éclaireurs des nouveaux territoires médiatiques auprès des commerçants et politiques qui n’y entendent rien. Leur technique repose sur 5 principes séculaires.

1- INSPIRER LA CRAINTE

Inspirer la crainte plus que l’amour (Machiavel, « le Prince »), susciter la terreur même, tel Vlad l’empaleur résistant à l’envahisseur ottoman qui a tellement frappé les imaginations ennemies, que son nom entra dans la légende sous le nom de Dracula.

Il faut s’attaquer à des ennemis redoutables pour mettre en scène son courage, sa force, sa vertu. Tout comme les héros grecs n’accédaient au mythe que via l’accomplissement rituel d’épreuves surhumaines (cf les 12 travaux d’Héraclès)

C’est la stratégie de Birenbaum brocardant Aphatie, ou de Bruno Roger Petit épinglant Elisabeth Levy. Il n’y a pas de grand héros, sans grands monstres. Le message adressé aux autres est clair : « attention, j’ai le pouvoir de détruire socialement, car je maîtrise le ridicule ».

2- SUSCITER L’AMOUR

Raréfier son attention au vulgus pecum  et accorder ses faveurs avec une extrême parcimonie. Reproduire la geste aristocratique qui veut que l’on ne remercie jamais les serviteurs, que l’on n’accorde que le minimum d’attention au vulgaire, que l’on respecte son « rang ». C’est déchoir qu’user sa personne à des personnes ou des tâches subalternes. Techniques de contrôle de l’aristocratie par Louis XIV que Mitterrand a su fort bien reproduire vis à vis des élites intellectuelles et médiatiques.

Par le jeu classique de l’offre et la demande, la raréfaction des communications augmente leur valeur. Et quel meilleur moyen ensuite pour créer de la reconnaissance, voire de l’amour, de la part de ceux à qui l’on s’adresse exceptionnellement : « il m’a parlé, il m’a souris, il m’a répondu ! »

Même procédé que celui utilisé par les politiques qui se font souffler le nom des « petites gens » qu’ils rencontrent. Ou du Pdg qui lors d’une assemblée, s’adresse à l’employé du bas de l’échelle par son patronyme. Quel merveilleux gain d’image et d’estime du peuple gagné « à pas cher ».

3- EXAGERER SA PUISSANCE

Un des instruments de la domination sociale est le bluff. Exagérer sa puissance et celles de ses ennemis pour intimider, glorifier son propre nom. Stratégie très efficace mise en place par ce pionnier de la propagande : Jules César qui dans la « Guerre des Gaules » accentue outrancièrement la férocité et la barbarie des celtes pour mieux réhausser son mérite de les avoir vaincus.

Rappeler ses victoires ou les nommer comme telles, même quand il s’agit de défaite. Ainsi de Ségolène qui répète à l’envi qu’elle a réuni la moitié des Français sur son nom, considérant sa défaite comme une victoire à venir. Technique politique très ancienne qui rappelle la bataille de Kadesh entre Ramsès II et Muwatali II, l’empereur hittite. Bataille au cours de laquelle les deux peuples se sont neutralisés mais dont chacun a revendiqué la victoire. Les Egyptiens ont toutefois gagné la bataille politique en inscrivant l’Histoire  sur les murs de leurs temples. La maîtrise de l’Histoire est éminemment politique. D’où la vigilance dont il faut faire preuve vis à vis de ceux qui veulent la réécrire à l’aune de leurs intérêts et convictions particuliers.

4- S’ENTOURER DE MYSTERE

En matière d’influence web, il faut faire savoir le plus possible que l’on a des relations, des entrées, que l’on est un « insider »… Sans donner de noms, sans faire l’inventaire de son carnet d’adresses, mais en donnant par petites touches des gages réguliers de sa tentaculaire longueur de bras.

Etre concis, pour ne pas dire laconique, afin que le propos ouvert puisse être interprété de 100 façons différentes. S’appuyer sur la fonction projective de l’individu, la fameuse tâche de Rorschach. Ou illusion de forme qui ne représente rien, si ce n’est ce que l’individu y met lui-même. Procédé superbement mis en scène par David Lynch dans Mulholland Drive, l’IKEA cinématographique, le film à monter soi-même.

Etre obscur pour masquer le manque de profondeur de la pensée mais toujours avec des mots compliqués, supplétifs d’intelligence qui rassurent le lecteur. Cosmogonie, herméneutique, sérépendité… Autant de « name-dropping » qui visent parfois moins à développer une argumentation qu’à en mettre plein la vue. Technique classique en agence de pub où l’on « néologise » à tour de bras ou l’on use d’anglicismes abscons pour impressionner le client. Il s’agir de le mettre immédiatement en position d’infériorité : vous utilisez un langage qu’il ne comprend pas, c’est dire s’il a besoin de vous…

5- FREQUENTER LES PUISSANTS

Communiquer avec des élites médiatico-intellectuelles (Eric Zemmour ou David Abiker par exemple), avec des politiques « tendance si possible (nkm est parfaitement indiquée), avec des puissance d’argent (grands patrons, directeurs d’agence de publicité et de communication…).

Par le jeu tacite de l’adoubement relationnel, si vous fréquentez les puissants, c’est que vous en êtes. D’où l’importance capitale d’être vu avec des pop-stars, tel Christian Audigier, affichant sur les murs de son club de nuit ses effusions avec Michael Jackson.

D’où la nécessité sur Twitter d’entretenir des conversation publiques avec des puissants ou du moins des influents : journalistes, créateurs d’entreprises, célébrités… Et surtout pas en message direct, le DM est le démon.

escalier social
escalier social

ATTEINDRE LE BOL DE SANGRIA

Le but du jeu ultime est d’intégrer le cercle fermé des puissants, des vrais influenceurs : les médias traditionnels, au premier rangs desquels les médias audio-visuels. D’abord la radio, puis, si tout va bien, la télévision, seul média de masse (mais peut-être plus pour longtemps…) Ou intégrer des cercles politiques qui ouvrent bien des portes : business, médias, fonctions publiques…

Les « influents » sur la toile se servent surtout d’Internet comme un moyen d’ascension sociale. Ils monnaient leur savoir-faire et leur lien sur la masse auprès des vrais puissants qui leur achètent un moyen de contrôle supposé sur les opinions : pour vendre  des marques, des partis, des idées politiques…

Crédit photo via Flick’r :  musmacity1 et pixel@work

33 commentaires sur « Les mécanismes séculaires de l’influence médiatique »

    1. @Birenbaum bien vu 😉 je suis dans la catégorie des « wanna be », qui cherchent à s’en sortir et utilisent ce média à des fins personnelles. je ne prétends en aucune façon donner des leçons, je suis comme les autres : intéressé.

      Ma circonstance atténuante, comme beaucoup de blogueurs (dont tu fais indéniablement partie), c’est la passion de mon métier et mon honnêteté intellectuelle (du moins essayé-je).

      Au plaisir de te re-croiser un de ces quatre 🙂

  1. +1 pour ce billet qui brasse la littérature, la psychologie, l’économie, la politique, l’histoire, la sociologie sur ce sujet ultra contemporain qu’est le 2.0. Un beau tour de force.

    Bravo aussi pour les exemples édifiants qui parlent à tout le monde, et pour ce style qui vous emmène avec aisance et sans accroc jusqu’à la dernière ligne.

    Dieu sait pourtant qu’on zappe facilement, c’était déjà vrai à l’apparition de la zappette, ça l’est encore plus depuis la souris !

    En tout cas, depuis… Je suis !

    1. @KlarAgora mille merci, j’en rougis presque 🙂
      Bienvenue parmi mes lecteurs !

      @Abiker merci pour l’idée ! J’avais en tête une nouvelle d’une autre nature, sans doute beaucoup moins drôle, je la note.

      Je suis encore tout émoustillé d’avoir été effleuré par la faveur d’un puissant, dont j’admire qui plus est le talent littéraire 🙂

      Très bonne (fin) journée également

      @Eric hahaha et oui grenouiller c’est un métier… 🙂

  2. Ce que tu écris prête aux « acteurs » des desseins très particuliers, des objectifs précis. Par exemple, vouer sa carrière à rechercher la proximité d’NKM, ca par exemple c’est drolissime. Tu devrais éventuellement écrire une nouvelle sur un type qui s’engagerait dans les médias pour fréquenter, approcher, être dans l’entourage d’un secrétaire d’Etat. Ca peut être très marrant. Vraiment. Bonne journée.

  3. C’est marrant, je viens de lire ton article après avoir envoyé un DM à une personne « influente » en me disant « si je lui tweete ce message, ce sera perçu comme de la montre » et donc je suis bien d’accord avec ce que tu dis sur les DM. Je viens donc de perdre une occasion d’accroître mon influence, et ce commentaire ne fait qu’aggraver les choses…

  4. @KlarAgora mille merci, j’en rougis presque 🙂
    Bienvenue parmi mes lecteurs !

    @Abiker merci pour l’idée ! J’avais en tête une nouvelle d’une autre nature, sans doute beaucoup moins drôle, je la note.

    Je suis encore tout émoustillé d’avoir été effleuré par la faveur d’un puissant, dont j’admire qui plus est le talent littéraire 🙂

    Très bonne (fin) journée également

    @Eric hahaha et oui grenouiller c’est un métier… 🙂

  5. « Les influenceurs, éclaireurs-interprètes des autochtones du web sont les sherpas de nouveaux territoires auprès des commerçants et politiques qui n’y entendent rien.  » Quelle marmelade… j’en resterai là, hein.

  6. « Les influenceurs, éclaireurs-interprètes des autochtones du web sont les sherpas de nouveaux territoires auprès des commerçants et politiques qui n’y entendent rien.  » Quelle marmelade… j’en resterai là, hein.

  7. Article intéressant, juste, mais surtout drôle…
    même si j’ai quelques objections 😀
    « Il faut s’attaquer à des ennemis redoutables pour mettre en scène son courage, sa force, sa vertu.  »
    J’aurais plutôt tendance à dire (ou a répéter puisque que j’ai trouvé ça chez Sollers) : que depuis toujours, la bête a besoin de son parasite autant que le parasite a besoin de sa bête… ce n’est que le prolongement du grand tournage en rond adapté aux sphères virtuelles.
    Sinon les vertueux, je préfère ne rien en dire ! Mais fichtre que le terme est joliment souligné.

    Bon dimanche

  8. @Vincent_B c’est tout à fait juste 🙂

    D’ailleurs j’ai effacé un paragraphe où j’évoquais le rôle moteur des ennemis dans l’existence, à l’image de Pompée et César, Chirac et Mitterrand ou Sarekozy/Villepin… Et la vraie tristesse qui touche paradoxalement l’un des deux survivants.

    Très bon dimanche également, je vais aller commenter votre commentaire sur l’autre blog maintenant ;))

  9. @Vincent_B c’est tout à fait juste 🙂

    D’ailleurs j’ai effacé un paragraphe où j’évoquais le rôle moteur des ennemis dans l’existence, à l’image de Pompée et César, Chirac et Mitterrand ou Sarekozy/Villepin… Et la vraie tristesse qui touche paradoxalement l’un des deux survivants.

    Très bon dimanche également, je vais aller commenter votre commentaire sur l’autre blog maintenant ;))

  10. Excellent billet, drôle.

    Juste une interrogation sur « Les influents sur la toile se servent surtout d’Internet comme un moyen d’ascension sociale. »

    Est-ce qu’il n’y aurait pas également une catégorie « d’influents » qui, sachant qu’ils n’accèderont jamais au bol de sangria, ne se satisferaient que d’une influence virtuelle (le verre de bière en quelque sorte) ?

    Autre question liée aux nombreuses citations de l’article : est-ce qu’on pourrait nommer un « influenceur », un dramaturge de l’ego ?

  11. Excellent billet, drôle.

    Juste une interrogation sur « Les influents sur la toile se servent surtout d’Internet comme un moyen d’ascension sociale. »

    Est-ce qu’il n’y aurait pas également une catégorie « d’influents » qui, sachant qu’ils n’accèderont jamais au bol de sangria, ne se satisferaient que d’une influence virtuelle (le verre de bière en quelque sorte) ?

    Autre question liée aux nombreuses citations de l’article : est-ce qu’on pourrait nommer un « influenceur », un dramaturge de l’ego ?

  12. @ Guillaume merci bcp 🙂

    C’est tout à fait juste ! Il y a en effet pour certains (petits) influenceurs, cette consolation, cette dérivation d’achèvement par le réseau. Tout comme certains petits fonctionnaires compensent leur frustration à travers l’exercice arbitraire de leur petit pouvoir; Une récompense prise sur la bête pourrait-on dire 😉

    Vous pensez à moi quand vous parlez de dramaturge ? Si c’est le cas merci, je suis flatté 🙂 Je suis plutôt un observateur amusé de tous ces phénomènes sociaux passionnants…

  13. @Guillaume merci de me faire profiter de votre article et réflexion intéressants.:) Je suis tjrs preneur…

    Ma seule objection sera forte cependant. Le simulacre social n’a pas attendu les réseaux sociaux, ni la modernité de nos vies urbaines.
    L’être humain depuis l’aube des temps cherche à séduire, et cela crée le mensonge, les faux semblants et le jeu théâtral (cf Erving Gofman)

    De plus nous ne sommes pas vrais ou faux. Nous sommes pluriels en permanence. Il n’y a pas de vrai soi, c’est une illusion marketing des magazines à pas cher. Nous nous adaptons en permanence, notre personnalité n’est pas, elle est toujours en devenir. (Cf Pascal)

    La question qui m’intéresse, moi, est de savoir comment les outils modernes modifient notre adaptation sociale et s’il s’agit d’un gain de stabilité ou pas. Je n’ai pas encore d’avis définitif sur la question 😉

    merci !

  14. @cyceron
    Bien sur que le simulacre social n’a pas attendu les réseaux sociaux, mais ils ne font qu’offrir des outils supplémentaires à tout un chacun, ce qui encourage le passage à l’acte. Notre « adaptation » sociale » est également en constante mutation : l’écriture l’a modifié, la radio l’a modifié, le téléphone, la télévision, le cinéma, Internet et aujourd’hui les réseaux sociaux. La construction du soi et sa « mise à jour » s’est toujours enrichie des nouvelles interactions sociales.
    Pour ce qui est du gain de stabilité, je crois que vous avez la réponse dans votre question. Qui dit adaptation sociale dit instabilité : quelqu’un de figé, qui ne remet rien en question est certe stable, mais incapable de s’adapter socialement. Je crois que le processus même d’adaptation sociale est un processus instable. De là à considérer que cette instabilité est une forme de stabilité…

    Au plaisir.

  15. @cyceron
    Bien sur que le simulacre social n’a pas attendu les réseaux sociaux, mais ils ne font qu’offrir des outils supplémentaires à tout un chacun, ce qui encourage le passage à l’acte. Notre « adaptation » sociale » est également en constante mutation : l’écriture l’a modifié, la radio l’a modifié, le téléphone, la télévision, le cinéma, Internet et aujourd’hui les réseaux sociaux. La construction du soi et sa « mise à jour » s’est toujours enrichie des nouvelles interactions sociales.
    Pour ce qui est du gain de stabilité, je crois que vous avez la réponse dans votre question. Qui dit adaptation sociale dit instabilité : quelqu’un de figé, qui ne remet rien en question est certe stable, mais incapable de s’adapter socialement. Je crois que le processus même d’adaptation sociale est un processus instable. De là à considérer que cette instabilité est une forme de stabilité…

    Au plaisir.

  16. @ Guillaume d’accord avec tout ce que vous dites

    Je parlais d’instabilité affective naturellement pas d’instabilité « adaptative »
    J’aurais pu dire aussi gain de bien-être.

    En gros, les médias sociaux nous rendent-ils plus heureux ?
    Difficile à dire et tout dépend de gens…

    Mais je tâcherais de développer ce propos…

    Merci de vos commentaires (intelligents qui plus est)

    Cyrille

  17. @ Guillaume d’accord avec tout ce que vous dites

    Je parlais d’instabilité affective naturellement pas d’instabilité « adaptative »
    J’aurais pu dire aussi gain de bien-être.

    En gros, les médias sociaux nous rendent-ils plus heureux ?
    Difficile à dire et tout dépend de gens…

    Mais je tâcherais de développer ce propos…

    Merci de vos commentaires (intelligents qui plus est)

    Cyrille

  18. Ping : Bourdieu ? Carles ? Pinçon ? Aidez moi, je sais pas qui a écrit ça. « La Toile de David Abiker
  19. Ping : Bourdieu ? Carles ? Pinçon ? Aidez moi, je sais pas qui a écrit ça. « La Toile de David Abiker

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *