Covid19 et chloroquine : médias, gardez la tête froide et faites le job !

Les travers de certains médias sont particulièrement visibles en période de crise. Le traitement accordé à la chloroquine en est un exemple édifiant.

Mise à jour le 7 juin 2020. Une nouvelle étude, cette fois de la célèbre revue scientifique « The Lancet », est à son tour présentée par les médias comme la réponse à la question de l’efficacité de la choloroquine. Hélas, une fois de plus l’étude est biaisée et la revue retire l’étude. Un nouvel épisode du défaut traitement des questions scientifiques par le journaliste généraliste, et surtout la collision malheureuse du temps long de la science avec le temps court. de l’information en temps réel.

Le Huffington Post a relayé un sondage IFOP montrant que que la majorité de la population interrogée pense que le traitement à base de chloroquine (ou hydroxichloroquine) est efficace.

D’emblée, j’en tombe des nues. En quoi l’avis de monsieur et madame tout le monde présente-t-il un intérêt sur des questions médicales comme celles-ci ? Je suis un grand partisan de longue date du participatif, mais pas sur n’importe quel sujet !

Ce sondage est pour moi le paroxysme d’une série d’erreurs dans le traitement de ce sujet (complexe et compliqué certes).

Le traitement à base de chloroquine fait débat depuis le 25 février 2020, depuis qu’un professeur en microbiologie français Didier Raoult en a fait la promotion tapageuse sur le site de l’IHU de Marseille. Le titre initial de la publication était « Coronavirus : fin de partie », rebaptisé « Coronavirus : vers une sortie de crise ».

Le professeur croit alors fermement avoir trouvé le traitement miracle à la pandémie et déclare même au journal 20minutes :

« Ça serait honnêtement une faute médicale que de ne pas donner de la chloroquine au coronavirus chinois ».

Le problème est que son étude a été conspuée par la communauté scientifique, pour des graves erreurs méthodologiques qui la rendent inexploitable. Même la revue où a été publiée l’étude du professeur marseillais l’a reconnu.

A ce jour (6 avril 2020), les scientifiques ne savent pas avec certitude si ce produit est utile ou pas dans le traitement curatif ou préventif du Covid-19, et ils y travaillent, notamment via Discovery, une vaste étude européenne dont on attend les résultats.

Pourquoi tant de précautions ? D’abord parce que c’est la méthode scientifique habituelle. Toute étude – médicale ou pas – est examinée et validée par la communauté de chercheurs, les pairs, seuls aptes à juger du sérieux d’un travail aussi pointu.

C’est le fonctionnement même de la recherche qui s’appuie sur l’intelligence collective pour faire avancer la science en limitant les erreurs, a fortiori dans le domaine médical.

Ce qu’explique brillamment Aurélien Barrau dans cette vidéo (5mn50) :

D’autant que l’on sait combien la chloroquine peut s’avérer dangereux pour les sujets fragiles du coeur et qu’il a d’autres effets néfastes sur la vue des patients, jusqu’à la cécité.

Brassage du vide, relais sans contradiction, exploitation de la polémique

Que font certains médias en attendant les résultats de ces études sérieuses et indiscutables ?

Certaines chaînes de télévision en continu, en l’absence de réponse fiable, se contentent d’alimenter le vide, comme souvent.

Elles répètent ainsi inlassablement les mêmes questions et relaient différentes opinions comme BFM qui va jusqu’à prononcer 35 fois par heure le terme de chloroquine.

Certains autres médias alimentent la polémique en offrant des tribunes sans contradiction ici ou  au professeur Raoult qui désormais dénonce l’excès de prudence des « méthodologistes » et leur dictature morale.

D’autres enfin diffusent des sondages sur la croyance ou pas en les vertus de ce traitement et la manière dont il doit être utilisé auprès de la population !

L’article du Parisien a le mérite de replacer le sondage en contexte, mais il donne la part belle à un seul point de vue, ce qui est problématique sur un sujet qui est loin de faire l’unanimité chez les chercheurs. La dernière question est encore plus discutable, car elle inciterait presque à l’auto-médication, qui s’avère très dangereuse.

Donc, après avoir suscité l’espoir, sur la base d’un travail scientifique bâclé, on vérifie le résultat auprès de l’opinion. Pas étonnant qu’une majorité, 59% du panel interrogé, penche en faveur du traitement prétendument miracle.

Beaucoup de gens croient en l’éminent professeur qui semble crédible et dont le discours abondamment relayé est rassurant, comment leur en vouloir ? D’autant plus, s’il est soutenu par d’autres médecins ou politiques a priori-respectables.

Le pire est qu’il a peut-être raison, même si son travail ne permet pas de le vérifier. Et c’est notamment l’une de ses plus graves erreurs, car sa précipitation et son manque de rigueur retardent le consensus scientifique, créent de la confusion et ne servent ni la médecine, ni la science.

Ce qu’explique bien Juliette Ferry-Danini, philosophe en sciences, médecine et éthique qui répond sur son blog à la tribune du professeur contre les « méthodologistes » :

« Un essai clinique doit permettre d’espérer à la communauté scientifique un progrès vers un consensus au sujet de l’efficacité et la sécurité d’un traitement donné. Cela signifie que tout essai clinique qui serait conduit négligemment ou sans espoir de mener la communauté scientifique à changer d’avis sur les traitements A ou B n’est pas éthique. »

Ce que rappelle l’OMS :

Le discours du professeur Raoult sur les « méthodologistes » et le devoir « éthique »  face à l’urgence de la situation ne tient pas face au risque potentiel de la solution proposée.
Pourquoi le fameux principe de précaution ne fonctionnerait pas en ce cas précis ?

Rejet de la rationalité et populisme

Cette façon de rejeter la rigueur des essais cliniques et la méthode scientifique elle-même  est une forme nouvelle d’osbcurantisme démagogique très étonnante de la part d’un chercheur-médecin.

Démagogie qui exploite habilement le régionalisme et la rivalité millénaire entre Marseille et l’autorité centrale, pour ne pas dire Paris, comme le révèle la partie très intéressante de l’article du Parisien :

« Cette croyance, en partie contestée par des experts parisiens, cristallise un clivage Sud-Nord. C’est en effet autour de la zone de Marseille, où est basé l’Institut que dirige le Pr Raoult, que la croyance est la plus forte. C’est presque un élément de fierté régionale », précise François Kraus.

Elle surgit opportunément dans une époque troublée qui remet en cause la rationalité, la science et la simple logique. Elle alimente les théories du complot, sur les intérêts notamment des laboratoires à interdire cette solution simple et peu coûteuse (donc peu rentable pour eux).

Une idée brûlante sur laquelle le médecin-sauveur jette de l’huile dans sa tribune au Monde du 25 mars 2020 :

« On utilise la méthode, en réalité, pour imposer un point de vue qui a été développé progressivement par l’industrie pharmaceutique, pour tenter de mettre en évidence que des médicaments qui ne changent pas globalement l’avenir des patients ajouteraient une petite différence. »

On n’avait pas besoin de cela, tant la période d’inquiétude liée au Coronavirus, ou Covid-19 – est propice aux rumeurs les plus folles !

La responsabilité des médias est d’éclairer, pas d’exploiter le doute

Il est important que les médias respectent cinq règles dans le traitement de ces sujets – et des sujets scientifiques en général.

1. Ils doivent faire appel à des journalistes scientifiques capable d’évaluer au moins le sérieux d’un protocole, d’une méthode scientifique, à défaut de pouvoir trancher sur le fond de la recherche elle-même. Cela veut dire peut-être réembaucher quelques spécialistes en sus des généralistes polyvalents… ou a minima donner aux journalistes en place les bases de la méthode scientifique (différence entre corrélation et causalité, processus de validation scientifique et méthode de validation d’une étude etc.)

2. Si plusieurs avis dissonants apparaissent chez les experts du domaine, ils doivent préciser que le sujet fait débat et mérite plus ample examen.

3. Ils doivent absolument bannir les articles qui ne présentent qu’un seul point de vue, opinion, étude. On se rappelle du naufrage de l’étude Séralini en une de L’Obs. Etude non soumise à la communauté scientifique et publiée par le magazine sans contradiction – condition de l’exclusivité – qui a été ensuite totalement huée par les spécialistes du sujet.

4. Ils doivent se montrer prudents et accepter de dire qu’ils ne savent pas. C’est ce que fait actuellement la communauté scientifique internationale qui cherche en ce moment des éléments de preuve pour trancher la question avec certitude.

5. Ils doivent renoncer à surfer sur ces sujets graves si c’est pour en parler mal – parce qu’ils n’ont ni  le temps, ni la compétence nécessaires.

Il en va de leur crédibilité, car la simple recherche d’audience pourrait être néfaste sur le long terme, surtout si le modèle économique des médias bascule de plus en plus vers l’abonnement.

Mais il en va surtout de notre cohésion sociale, déjà en mauvais état pour plein de raisons socio-politiques. Car si les médias eux-mêmes ne remplissent plus leur rôle de vérification et tri de l’information, pourquoi continuer à leur faire confiance et comment endiguer les théories du complot qui se développent, non sans raison ?

Cyrille FRANK

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Photo credit: Elvert Barnes on Visualhunt.com / CC BY-SA

6 commentaires sur « Covid19 et chloroquine : médias, gardez la tête froide et faites le job ! »

  1. le passage sur l’étude Discovery est faux : cette étude n’étudiera pas le protocole du Pr Raoult qui inclut l’azythromycine (un antibiotique). Par ailleurs tout l’article est faux, puisque le Pr Raoult est diabolisé dans la quasi-totalité des médias, ce dont vous ne parlez pas.

    1. Non, c’est vous qui avez faux. Je le répète ma phrase, puisque vous ne savez pas lire : « A ce jour (6 avril 2020), les scientifiques ne savent pas avec certitude si ce produit est utile ou pas dans le traitement curatif ou préventif du Covid-19, et ils y travaillent, notamment via Discovery, une vaste étude européenne dont les résultats devraient être connus le 10 avril 2020. »

      Je me fiche totalement de ce monsieur Raoult, ce n’est pas lui qui m »intéresse, contrairement à vous qui en faites une idole et un prophète (les réveils vont être douloureux). On sait très bien qui utilise la réthorique de la « diabolisation médiatique », d’ailleurs une petite recherche sur votre nom conduit assez vite à des contenus et des sites immondes comme ripostelaique (point) et votre torchon : sur les sales methodes du lobby LGTB

      La vérité, et vous le sauriez si vous aviez travaillé un peu le sujet – ou si vous étiez un minimum honnête – c’est que les études sur le sujet portées jusqu’à présent par le labo de l’IMH de Marseille sont indignes de la science. Le reste est du bavardage et de la propagande inutiles.

      Mais, vous vous en fichez, le but du jeu est juste d’essayer de déstabiliser, méthode FSB/KGB de Poutine – très ami avec Marine Le Pen (et avec tout parti – aujourd’hui surtout le RN- susceptible de mettre nuire aux intérêts d’un ennemi ou concurrent aujourd’hui). Tactique de déstabilisation très utilisée par RT France, finacée par le Kremlin.

  2. @Cyrille Frank La « rhétorique de la diabolisation médiatique  » n’est pas le propre du RN. On la trouve également chez la France Insoumise, qui d’ailleurs est devenue une vitrine des groupuscules indigénistes, lesquels sont authentiquement fascistes, racistes à
    et antisémites (encore plus d’extrême droite que l’aile droite du RN actuel soit dit en passant). Ou encore chez les complotistes de l’UPR, parti aux dérives sectaires (lire à ce propos témoignage édifiant sur conspiracy watch). En ce qui concerne Raoult et son remède je ne sais trop quoi penser, mais je note que certains médecins et scientifiques affirment qu’il a raison en mettant en avant le principe d’urgence sanitaire. Qui a raison ? Je l’ignore, n’étant pas médecin.
    Mais, au sujet du confinement général, de ses dérives nombreuses et de ses tres lourdes conséquences sociales, économiques et humaines, ce qui me frappe c’est que les médias français suivent presque tous docilement le discours gouvernemental sans informer vraiment les gens sur la situation d’autres pays (l’Allemagne par exemple) qui s’en sortent beaucoup mieux que nous et ne pratiquent pas de confinement général. C’est en observant ce qui se passe dans ces pays que l’on se rend compte du caractère hors sol et contre-productif de la gestion politique de cette crise en France. De l’amateurisme complet du gouvernement et du manque d’information non partisane, objective. La polémique Raoult sert uniquement de dérivatif : n’est-ce pas le cas de la plupart des polémiques ? Bien à vous.

    1. Bonjour Simon,

      Oui, en effet, le RN n’a pas le monopole de cette technique, même si Le Pen est le premier à l’avoir utilisée.

      Pour Raoult, personne ne sait encore de façon définitive si la chloroquine est efficace. Ce qui est sûr, c’est que ce ne sont pas ses recherches honteuses qui permettent actuellement de le dire.

      Ceux qui soutiennent sa théorie sans preuve ne sont pas dignes de leur fonction et s’en mordront peut-être les doigts bientôt. Je ne comprends pas comment et pourquoi on évacue le principe de précaution dans ce cas, sachant que le produit et le dosage préconisés pour le Sars-COV-2 sont loins d’être inoffensifs. J’ai suffisamment écouté et entendu de vrais experts du sujet, pour en avoir la conviction. Après, « wait and see ».

      S’agissant du bonhomme, je suis désormais assuré que c’est un mégalomane dangereux qu’il faut impérativement sanctionner. Il a fait perdre un temps considérable à tout le monde avec ses déclarations intempestives https://www.nature.com/articles/d41586-020-01165-3?fbclid=IwAR2Xv0Cm-zCEUM6lBtgNpLUqclRTFh1vtmiySwVXf3HsKYQipVhiDWjGnPk

      Pire, ce que je lui pardonne pas, ce sont ses coups de butoirs assassins contre les fondements de la science, par vanité et égoïsme (et sans doute un vieux fond de bêtise).

      S’agissant du confinement, il y a un syllogisme qu’il faut dénoncer. Oui, je suis d’accord avec bcp de spécialistes du domaine sur le fait que nous n’avons pas fait ce qu’il fallait : tests généralisés très tôt, isolement des pop.touchées, port du masque pour tous… Comme en Corée par ex.

      Cette erreur initiale – on le sait aujourd’hui (tous les scientifiques ne disaient pas cela au début) – a pour conséquence de devoir confiner tout le monde MAINTENANT pour éviter un plus gros désastre. Ce n’est pas absurde, c’est nécessaire, même si c’est regrettable de devoir en arriver là, en effet.

      S’agissant des choix politiques qui ont été faits, il y avait aussi, et il ne faut pas l’oublier, une réalité cruelle : notre déficit industriel. Nous ne fabriquons pas les tests nous-mêmes et sommes dépendants de la Chine ou d’autres pays sur ce point.

      Il y a assurément une responsabilité politique sur le non renouvellement des masques, mais pour ce qui est des respirateurs et matériel de réanimation moins nombreux que les Allemands par ex., c’est toute notre dépendance/ défaillance industrielle qui est en cause depuis 30 ans, et la logique même de la mondialisation (cf avantages comparatifs de Ricardo).

      Je vois, j »écoute et je lis beaucoup de médias qui racontent cela, tout en acceptant ce confinement en effet, désormais pour sauver des vies (et c’est une réalité incontestable).L ‘Allemagne ne va pas tarder d’ailleurs à reconfiner bientôt.

      Je vous suis totalement sur l’amateurisme du gouvernement, pour ne dire que cela, à ce stade. Il y aura peut-être là aussi des comptes à rendre plus tard pour ceux qui auront pris des risques sur la santé publique par souci de rentabilité (ou pour se faire bien voir du chef).

      Merci de votre commentaire !

      A bientôt

      1. L’Allemagne ne pratique pas de confinement GENERAL (pas de limitation dans le temps et l’espace aussi stricte, pas d’attestation, possibilité de sortir se balader à deux, pas de fermeture d’un si grand nombre de commerces etc…). Par ailleurs le confinement excessif peut aussi causer des tragédies : vague de dépressions et de suicides, familles ne pouvant plus nourrir leurs enfants etc…Les personnes en situation psychologique précaire (ce qui n’a rien de péjoratif) ou économiquement défavorisées sont exposées à ce genre de conséquences. Et je ne ne parle même pas des faillites possibles de petits commerces : cafés, restaurants, librairies…Ceux qui à mon sens font le charme des villes, au profit des grandes surfaces . A mon avis la voie choisie par les gouvernements français ou italien risque d’avoir des retombées aussi catastrophiques que le covid-19 lui-même.
        Bien à vous.

        1. Difficile de comparer deux pays à la structure politique très différente, mais aussi à l’organisation urbaine radicalement différente.

          Deux choses me semblent faire consensus : nous n’avons pas été exemplaires dans la gestion des stocks de masques, c’est évidemment un euphémisme, et nous avons développé une dépendance inquiétante vis à vis de pays étrangers dans la fabrication des tests, des vaccins et autres produits pharmaceutiques.

          Oui le confinement génère des maux qui ne sont pas petits. C’est une mesure d’extrême urgence car nous avons été pris de cours et avons très mal anticipé (comme de nombreux pays). Il n’en reste pas moins que ce confinement a sauvé probablement des milliers de vie. Donc, c’était la mesure à prendre. Bolsonaro, Trump et tous ces cyniques intéressés qui tordent la réalité pour sauvegarder leurs intérêts politiciens, méritent la corde.

          Bien cordialement

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