#Balancetonporc : comment reprocher aux femmes le combat inégal qu’on leur propose ?

Raphaël Enthoven, Alain Finkielkraut, et désormais Valérie Toranian… tous dénoncent la vilaine délation des réseaux sociaux à l’oeuvre via #balancetonporc. Et d’en appeler à la raison et aux institutions. Les deux piliers de l’immobilisme sociétal, depuis toujours.

Voici ma réponse à la directrice de la rédaction de la Revue des deux Mondes, qui s’insurge contre le populisme de délation.

Quel joli texte, raisonnable, poli, frappé au coin du bon sens. Propre et lisse. Il me rappelle la citation de Charles Péguy : « le Kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains »

Et comme Kant, il fait fi de la réalité. Se tourner vers la justice ? La bonne blague… Déposer plainte pour viol est une longue traversée du désert pour les victimes. Celles-ci subissent bien souvent la double peine : être violées et accusées de mentir, avoir provoqué, être complaisantes… Alors dénoncer des attouchements, des pressions, des menaces sans témoin ? Au risque de se faire virer et d’être back-listé durablement, en début de carrière

Au risque de voir sa plainte classée sans suite, comme c’est régulièrement le cas ? Et de se retrouver nez à nez avec le type que l’on a dénoncé ?

J’adore le courage de ceux et celles qui appellent au suicide des autres, avec l’assurance de ne jamais être directement concerné. Ou plutôt la vanité de ces fats qui auraient résisté à l’occupant, c’est sûr !

Jean-Jacques Goldmann en un texte populaire a dit mieux et plus que tous ces donneurs de leçon en robe de soie.

Bats-toi contre Mike Tyson !

Ce raisonnement me rappelle les tenants de la méritocratie néo-libérale : si tu veux, tu peux ! Prend donc tes gants et bats-toi courageusement contre Mike Tyson, tu peux le battre !!! Il suffit de le vouloir vraiment. Et si tu échoues, finalement, c’est que tu n’avais pas assez de volonté, Tu méritais d’échouer. Tout est bien qui finit bien au royaume néo-féodal des trois ordres : politique, financier, médiatique (je parle de l’intelligentsia des médias, pas du journaleux moyen).

Je suis loin d’être fan de la délation publique et surtout anonyme. Mais la plupart des délatrices l’ont fait à visage découvert. Certaines, comme Giulia Foïs – n’ont pas donné le nom de leur bourreau.

La morale à deux balles d’Enthoven

Le Droit est toujours une hiérarchisation DES droits. Le droit à sa vie privée versus le droit de savoir. Le droit à son intégrité physique versus le droit à la présomption d’innocence. Le législateur évalue froidement les risques des uns et des autres pour l’intérêt global de la société. On ne saurait se retrancher sur un précept moral unique à l’universalité plus que douteuse : ne pas dénoncer.

D’où la sottise de cette déclaration plein de nuances : “une balance reste une balance. Quelles que soient ses intentions”. Dénoncer un mari violent à la police est donc être une balance, appeler la police pour dénoncer un père qui frappe ses enfants, c’est être un salaud. Dénoncer un raquetteur de collège aux profs pour protéger un élève, c’est être une ordure, une “balance”. 

Le critère principal du législateur pour hiérarchiser les droits, est en réalité celui du risque maximum.

En l’occurrence le risque maximum se trouve évidemment dans le non-respect de la présomption d’innocence – rempart contre les abus du pouvoir et d’une justice de façade. Je ne suis donc pas fan dans son principe de cette chasse aux sorcières, car le risque d’exposer des innocents à la tyrannique vindicte populaire, ne me semble pas nul.

Mais, a contrario, je trouve un peu léger de renvoyer les femmes dans leurs cordes avec ce simple conseil : portez plainte, respectez le droit !

il arrive un moment où, à force d’injustice, d’inéquité, de droits bafoués par des « porcs » et je parle de tous types d’abuson en vient à un excès « d’émotion » en effet. Plus exactement à de la colère profonde, irrépressible, viscérale. Et l’on commet l’irréparable. On est violent, excessif, immoral, parfois injuste. On “balance son porc”.

On se comporte comme le peuple excédé de 1789 : on coupe des têtes, sans discernement, avec « l’émotion » – le vilain gros mot – de ceux qui subissent le joug depuis toujours.

Et enfin, on fait avancer – un peu – les droits, la société. On fait taire – pour un temps au moins – la morgue de ceux qui se croient tout-puissants, intouchables et qui en abusent.

Déjà, la parole se libère, le système semble se dégripper. Une discussion sans précédent a lieu sur « la drague au travail » et permet aussi aux jeunes générations de se poser de salutaires questions.

Le premier excès à dénoncer, c’est celui de la passivité collective

Je ne vois pas là matière à pousser des cris d’orfraie contre les victimes qui ne jouent pas le jeu inégal qu’on leur propose. Sans approuver les délations publiques, je les comprends. Sans les encourager, je vois aussi leur utilité : forcer l’institution à s’emparer enfin de la question, et faire changer la honte de camp.

Un jour mon père me tança publiquement pour avoir frappé au visage un méchant garçon. Ce petit imbécile avait envoyé de vilains coups de pieds à ma grande soeur et moi, durant tout un trajet en car, au retour d’un « centre aéré » à Villeuneuve Saint-Georges (ça envoie du rêve, hein ?). Mes plaintes aux moniteurs étaient restées lettre morte : « débrouillez-vous les mômes ».  Je me suis débrouillé.

Mon père avait l’air fâché. Et moi je me sentais misérable. Jusqu’au moment où mon paternel ne put réprimer un sourire de satisfaction devant mon geste. Et plus encore par la suite, devant son résultat : nous ne fûmes plus jamais importunés.

La révolte violente, excessive, parfois injuste est avant tout la conséquence d’une inaction coupable de la société.

On peut regretter que lors de la Révolution de 1789, des têtes soient tombées dans de méchants règlements de compte, par jalousie, convoitise, bêtise… Mais, l’abolition des privilèges du 4 août, n’aurait pas eu lieu sans la trouille – bleue – qui s’empara des nobles.

C’est précisément cette peur du « populaire » qui ne respecte pas les règles (irresponsables twittos) que dénoncent nos intellectuels, « bourgeois » d’aujourd’hui.

Sur le plan moral, la dénonciation publique ad hominem est indéniablement moche. D’un point de vue plus pragmatique, elle me semble redoutablement inefficace. La révolution ne se fait pas en gants blancs. Alors Monsieur Enthoven, nous avons là un beau sujet de philosophie non ? Sans doute un peu plus complexe que vos dénonciations confortables.

PS : cet article a suscité de la part de monsieur Enthoven une réponse pour le moins décevante. Je vous laisse juge, une fois de plus, de la nuance de son propos :

Par ailleurs, une nuée d’admirateurs et amis dévoués se sont chargés de me faire la chasse. Soit exactement la même chose que ce qu’il reproche aux autres dans cet article.

Dérouler la conversation pour voir qui est le plus agressif… et joue de sa « horde » pour ne pas répondre.

Monsieur Enthoven, je suis de ceux qui pensent que la philosophie doit être ancrée dans l’action, dans le réel et donc l’exemplarité, à l’image d’André Malraux. Sinon, cela s’appelle du sophisme cynique, et surtout égoïste, vaniteux, vain. Vide.

Cyrille Frank

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