Le plaisir, valeur refuge de nos sociétés en repli

La part croissante des loisirs, du divertissement, de la consommation dans nos vies est un exutoire à notre angoisse, nos craintes face au monde plus insaisissable et dangereux que jamais. Ou qui nous semble tel, en raison d’une exposition médiatique plus forte.

18 décembre 2010 – actualisé le 21 septembre 2023.

L’évolution économique, politique, sociétale, technologique de ces 30 dernières années tend à plonger nos pays développés modernes dans un “spleen” très prosaïque. Au plan individuel ou collectif nous avons peur de perdre nos positions acquises, notre statut social, notre rang.

Un sentiment d’insécurité généralisée

Professionnelle : chômage, précarité (CDD, temps partiels, interim) se développent. Il est quasiment impossible de faire carrière toute sa vie dans la même entreprise. Dans certains secteurs (notamment technologique), il est même dur d’y rester plus de deux ans.

Les classes moyennes et supérieures ont la trouille d’être déclassées, en raison de l’insécurité professionnelle évoquée ci-dessous. Celle-ci se conjugue à la baisse de leur niveau de vie liée à la stagnation des salaires, et la hausse des prix de certains produits (énergie, habitation, transports). Selon l’INSEE, en 2010, la moitié de la population vit avec des ressources inférieures à 1500€ par mois par personne, tandis que les charges de logement et transport, elles augmentent

Psychologique : d’abord la peur de la « fin du monde » lié au dérèglement climatique, à l’épuisement des ressources, de la perte de la diversité des espèces… Ensuite les innovations technologiques dont le rythme ne cesse de s’accélérer (avec la percée de l’IA potentiel destructeur massif d’emplois), les contraintes de la mondialisation, le sentiment d’impuissance politique face aux instances internationales (OMC, UE, ONU…), les mutations sociétales (changements des rapports entre les sexes qui perturbent certains, les mutations des rituels générationnels…), les risques sanitaires (les épidémies mondiales de type Covid-19 évidemment, mais avant cela l’affaire du sang contaminé, les bactéries résistantes aux antibiotiques etc.)

Physique : augmentation du nombre de délits sur les personnes commis avec violence (mais surtout augmentation des plaintes en réalité). Hausse du “sentiment d’insécurité” lié principalement aux incivilités, agressions verbales, voire “razzias” menées par des groupes de délinquants issus des fameuses cités lors des rassemblements (14 juillet, manifestations étudiantes, défilés…).

Le fossé culturel se creuse entre classes moyennes, supérieures et relégués sociaux en marge de la cité (bannis à une lieue) et accentue cette peur de l’autre. Comme le décrit bien Eric Dabarbieux dans “La violence en milieu scolaire”, le sentiment d’insécurité est déconnecté de la violence réellement subie. Ce sont les moins exposés qui l’éprouvent le plus.

peur du déclin

La peur du déclin collectif

Sur le plan économique nous observons avec angoisse ces nouveaux pays si dynamiques, si mal payés, si difficiles à concurrencer. Ces satanés Chinois, “péril jaune” identifié depuis le début des années 1970, ces Brésiliens et autres pays émergents dont on nous répète à l’envi qu’ils sont plus forts que nous

Sur le plan spirituel, nous constatons le développement de religions concurrentes du catholicisme traditionnel : islam, judaïsme, (scientologie aux Etats-Unis)… Cultes revendiqués de plus en plus fortement à mesure que le nombre de leurs fidèles progressent et qui touchent de plus en plus au socle de notre laïcité républicaine.

– Sur le plan idéologique, nos valeurs républicaines sont chahutées. L’universalisme est devenu un gros mot dans la bouche de la gauche radicale (en particulier LFI). Nous sommes de plus en plus enjoints d’adopter la vision anglo-saxonne communautariste de la société, c’est à dire la juxtaposition de communautés séparées qui coexistent pacifiquement, mais sans se mélanger contrairement au creuset républicain. Jusqu’à accepter la claustration physique et le séparatisme sexuel prôné par l’islam radical, prétendument au nom de la liberté individuelle (d’abord le voile au collège, le burkini dans les lieux publics, maintenant l’abaya à l’école…).

L’utopie méritocratique ne convainc plus grand monde, si ce n’est les élite qui en bénéficient. L’école républicaine pourtant conçue théologiquement sur le principe de l’égalité des chances, est l’une des plus inégalitaires au monde. Cette promesse déçue est un puissant vecteur de désintégration sociale.

Sur le plan culturel : nous avons perdu la guerre linguistique mondiale au profit de l’anglais, nos industries culturelles sont sous perfusion, notre “rayonnement” est au plus bas. La France est d’autant plus inquiète qu’elle tombe de haut, héritière d’un passé dominateur sous le siècle des Lumières, sous la révolution ou même sous Napoléon (le code civil est la base de nombreuses législations dans le monde).

Sur le plan géopolitique. L’invasion de l’Ukraine par la Russie nous rappelle que la guerre qu’on croyait à jamais révolue est toujours possible. Et le Kremlin ajoute à cette angoisse en agitant régulièrement la menace nucléaire, à mesure que ses troupes sont mises en échec sur le terrain. De manière plus globale, nous n’avons plus les moyens d’être conquérants. Il nous a fallu rentrer dans le rang et réintégrer l’Otan, tandis que les vestiges de notre ancien empire colonial nous échappent. Et sont âprement récupérés par les Russes, les Chinois ou les Américains.

Des craintes accentuées par les médias

Les médias, par leur diversité, leur nombre, leurs moyens accrus nous informent beaucoup mieux qu’avant de ce qui se passe dans le monde. Ils nous permettent ainsi de mieux voir ces risques qui nous échappaient hier et ils génèrent donc davantage d’angoisse, en retour.

C’est ainsi qu’est apparue la notion « news fatigue » dans les études d’usage des médias, notamment celle du Reuters Institute :

Savoir n’est pas une activité anodine : avaler la pilule bleue de Matrix, croquer la pomme du jardin divin, s’élever vers le soleil Icarien, c’est prendre la voie de la souffrance, voire de la chute. Liberté ou confort, il faut choisir.

D’autant que les médias déforment forcément la réalité. Ils ne traitent par essence que des problèmes, des cas particuliers. Les trains à l’heure n’intéressent personne. S’exposer aux médias, c’est donc recevoir une plus forte proportion de messages inquiétants.

Les médias déforment aussi la réalité par sensationnalisme, pour des raisons là encore de concurrence économique. C’est le fameux “story-telling” de l’information qui joue sur l’émotionnel, le spectaculaire, le sordide… Phénomène accentué conjoncturellement par les difficultés de la presse qui use et abuse des vieilles ficelles du fait divers, du polémique ou du spectaculaire pour vendre du papier ou de la page vue.

Mais ce penchant sensationnalisme est surtout pratiqué par les médias audiovisuels gratuits, car c’est leur modèle d’affaire : capter l’attention du plus grand nombre par des sujets émotionnels, polémiques, choquants et quelquefois positifs (victoire sportive de la France au football par exemple).

Punis pour notre curiosité ?

Il faut ajouter que nous, souhaitons aussi en savoir toujours plus, comme en témoigne le succès croissant des chaînes d’information en continu, ou des émissions de radio polémiques, voire conspirationnistes. Nous réclamons toujours davantage de cette connaissance qui nous angoisse et nous brûle. Nous sommes drogués à l’information.

Par ailleurs, nous sommes aussi en grande partie responsables de ce traitement de l’information spectaculaire et émotionnel pour plusieurs raisons :

– Nous avons besoin de remplir nos vies tertiarisées monotones

– Nous aimons nous repaître du malheur sordide du monde par voyeurisme et besoin de se rassurer : quelle chance de ne pas être l’autre ! Ressort primaire au succès de Dallas et d’une partie de la presse people de désenchantement (Voici, Closer…)

– Nous désirons posséder le plus d’informations pour anticiper les risques

Le bonheur serait-il alors de ne pas savoir, quitte à ne rien anticiper et surtout pas sa propre fin ? Le plus malin serait-il ce bon sauvage de Rousseau, épargné par l’angoisse existentielle, car ne comprenant pas ce qui lui arrive ?

Peut-être. Mais ce bon sauvage serait aussi comme un bébé souhaitant traverser à quatre pattes une voie rapide. Il risquerait aussi d’être broyé par la société qui punit ceux qui se mettent trop en marge.
Mais a contrario, cette l’information permanente, rend fou et malheureux.

Le plaisir, pour se réfugier

plaisir refuge

Face à toutes les difficultés de nos sociétés en mutation accélérée du fait de la mondialisation et dont nous sommes plus que jamais conscients, se pose une solution : l’évasion, l’oubli..

C’est le mécanisme à l’oeuvre dans le 13H de JP Pernaud qui présente une France traditionnelle idéalisée si rassurante pour sa cible majoritairement âgée. Processus identique dans le traitement édulcoré de l’information durant les fêtes de Noël ou pendant les vacances.

Souvenez-vous du 11 août, ce jour le plus chiant de l’année. Ne pas perturber la trêve psychologique de ces téléspectateurs et lecteurs qui ont le droit de se reposer l’esprit avec des informations douces et mielleuses : les marronniers des achats de Noël, les concours de crèche, les premières neiges au sport d’hiver, la décoration du sapin…

Ce besoin de plaisir prend la forme du divertissement qui imprègne tout et notamment l’information et donne naissance à l’info-tainment inauguré par Canal+ et poursuivi par Ardisson, Ruquier et plus récemment par Hanouna qui ne produit plus que de la polémique et de l’émotionnel grossiers sous le prétexte d’actualité.

La divertissement se traduit aussi par la multiplication des fictions standardisées et rassurantes par leur scénarisation-type (Sous le soleil, Joséphine ange-gardien, Section de recherche…). Surtout pas de surprise, la répétition tranquillise l’esprit par la récurrence de rituels et la prédictibilité des faits.

C’est le développement du gaming sous toutes ses formes, de la console au jeu mobile qui touche tout le monde et représente désormais la moitié du marché.

Refuge dans la consommation-échappatoire, moyen d’occulter la question du sens de l’existence. Déni assez général des sociétés prospères qu’illustrent très bien les films Fight Club, American Psycho ou 99 francs de Beigbeider. “J’achète donc je suis” mais surtout, “je suis ce que j’achète”.

Un divertissement de plus en plus tourné vers le rêve, le fantastique, comme en témoigne les succès des blockbusters US adaptés des comics Marvel, l’engouement pour les séries fantastiques, les ventes records d’Harry Potter… Ou comment construire un imaginaire protecteur fondé sur d’autres règles qui nous affranchissent de nos limites, nous consolent de nos frustrations et de nos peurs grâce au procédé d’évasion-identification.

Cette tendance à l’évasion n’est d’ailleurs pas purement occidentale. Au Japon par exemple, le traumatisme de la défaite et surtout de la bombe, a entraîné depuis 1945 un formidable réflexe d’oblitération du réel, d’édulcoration du monde, de superficialisation culturelle du monde. C’est le kawaï (mignon), le karaoké, le kitsch acidulé, le clip burlesque (Nissin) et l’hyper-consommation (en grande partie liée à l’importation du modèle économique américain, forme de « coca-colisation » de la société).

Un désir de plaisir, une quête de ludique et d’évasion qui poussés à leur comble désocialise les individus. Lesquels, boursouflés d’égoïsme, non seulement ne veulent plus perdre leur vie à la gagner, mais réfutent même la notion d’effort. Ce sont les hikikomori (qui s’excluent de la société) nippons ou les Tanguy français,  parasaito shinguru (parasites célibataires).

Regroupement tribal et repli communautaire

Une autre tendance contraire émerge en occident : le besoin de plaisir et de sécurité via le regroupement autour d’un groupe affinitaire : sa tribu. C’est l’explosion des groupes WhatsApp, Facebook, Snapchat ou Fortnite entre amis, ou en famille. On assiste à la fragmentation de la société en micro-communautés qui défendent un point de vue, un mode de vie, une vision politique. Des groupes très actifs sur Twitter qui renforcent leur cohésion par l’affrontement avec autrui.

Ce mouvement contribue (et est aussi le résultat préalable) à « l’archipellisation » de la société selon les termes de Jérôme Fourquet, de l’IFOP.

Atomisation qu’on retrouve à travers et via les revendications communautaires et les séparatismes en tous genres qui fragmentent la société et abiment le « vivre-ensemble ».

Un désir d’utopie, un besoin d’action

utopie évasion

On assiste aussi à un mouvement contraire non pas d’évitement, mais de réenchantement du monde. celui-ci se matérialise notamment chez la jeune génération par une démarche active, de construction, ou parfois de destruction pour faire « table rase du passé ».

Le mouvement « woke » traduit ce besoin de croire en quelque chose d’autre, de se rassurer par un idéal supérieur porteur de sens. La fin des idéologies traditionnelles (scientiste, capitaliste, communiste, religieuse…) a laissé un grand vide qu’il faut combler. Pourquoi pas via cette démarche radicale qui vise à l’implosion d’un système injuste et la promotion d’une « égalité parfaite » entre toutes les communautés ? D’autant que cette nouvelle « distinction morale » offre de sérieux avantages psychologiques et sociaux.

Une quête qui prend parfois des aspects religieux, avec toute l’intolérance et le totalitarisme qu’elles induisent et qui rappellent le grand moineau de Games of Thrones

Cette quête de sens et d’élévation explique aussi l’avènement du nouveau veau d’or : Gaïa. Entre bouddhisme et animisme, le respect de la planète et de la vie en général se pose en ultime valeur universelle, contre tous les relativismes culturels.

C’est aussi le but poursuivi par les “décroissants” et les partisans de la sobriété énergétique qui refusent ce modèle économique de « croissance infinie dans un monde fini« . Modèle néfaste qui consume les ressources planétaires et menace de nous anéantir via la crise climatique et ses conséquences.

Autant d’aspirations que cherchent à récupérer les populismes de tous bord pour prendre le pouvoir, au nom du peuple.

La globalisation, l’ouverture économique et culturelle nous confrontent depuis longtemps à la peur du déclin et du déclassement. Mais plus récemment, la peur de la fin du monde (climat, guerre, épidémies…) nous plonge dans une angoisse existentielle encore plus forte. Raison pour laquelle nous évitons de plus en plus les actualités et tendons à nous replier sur le divertissement et les loisirs. Tout en étant de plus en plus séduits par ceux qui prétendent agir de manière radicale et autoritaire pour sauver à la fois le monde et notre pouvoir d’achat.

Cyrille FRANK

[Consultant, formateur, conférencier] voir mon cv plus détaillé

Abonnez-vous à ma newsletter hebdo gratuite : tendances, usages, outils, bonnes pratiques médias

Crédit photo via Flickr.com en CC : ©Claude Fabry Ana Patrícia Almeida epSos.de, polkadotted1

Photo de une Mockaroon sur Unsplash

46 commentaires sur « Le plaisir, valeur refuge de nos sociétés en repli »

  1. Une bonne analyse.
    Un tout petit truc qui me fait toujours sursauter: quand on dit que la scientologie est une nouvelle religion on marche dans leur jeu: certes elle attire avec le leurre de la spiritualité, mais en réalité ce n’est qu’une organisation sectaire pyramidale basée sur l’argent et non sur le spirituel.

    1. Merci tinou,

      Il faut se souvenir qu’autrefois le mot de « secte » n’était pas aussi péjoratif qu’aujourd’hui. La religion catholique était une secte, une variante de la religion hébraïque, tout comme de nombreux mouvements : Chaldéens, Saducéens,Esséniens, Pharisiens, Marronnites …

      Alors ce qui nous choque à juste titre chez les Scientologues, n’est pas tant leurs convictions (après tout, on n’a pas plus vu les extra-terrestres que Dieu, qui peut juger de la pertinence d’une croyance ?)

      Mais c’est bien leur mode opératoire qui est inacceptable : contrôle mental, domination psychologique, manipulation et spoliation. Il y a bien une dimension spirituelle dans cette « religion-secte », mais la différence est dans la relation à l’esprit des fidèles : pas une simple suggestion que les individus sont libres d’accepter ou refuser (aujourd’hui pas hier) mais un contrôle total irréfutable par destruction progressive de la personnalité et donc de la liberté.

      PS : les religions « officielles » exercent aussi un contrôle mental sur les individus, mais tout est question de degré. Par ailleurs les religions « officielles » ne crachent pas non plus sur l’argent de leurs fidèles, et si religion et politique ont distendu fort heureusement leurs liens en Occident (à force de conquêtes royalistes et citoyennes), ce n’est pas encore le cas partout. En témoigne en particulier le monde musulman qui continue majoritairement de mélanger pouvoir spirituel et temporel… Où est le spirituel dans la gestion politique de la vie de tous les jours via la charia ? 🙂

      Cordialement

      Cyrille

      1. Où est le spirituel dans les coups de pouce “diplomatiques du Vatican” pour protéger les prélats “condamnés” pour pédophilie , ou juste après-guerre, pour favoriser la fuite de quelques criminels nazis notoires vers les territoires plus “accueillants” d’Amérique latine …
        (A noter que ce ne sont pas les seules structures politiques ou scientifiques à accueillir des ex-nazis plus ou moins repentis)
        Il semblerait donc que la confusion des pouvoirs spirituels et séculiers ne soit pas le fait exclusif de l’islam politique …
        Simplement les codes ont changé !

        1. Salut Etienne, finalement tu n’as pas attendu le soir pour lire ! hahaha
          Je ne suis pas un grand défenseur des religions en général… Plus exactement de l’organisation politique des cultes. Et en effet, la confusion temporelle spirituelle persiste aussi ça et là au sein du catholicisme.

          Mais disons que l’islam politique est de loin le plus conquérant, grâce à l’argent des pays pétroliers. Et aussi parce que nous avons raboté les velléités des curés chez nous (depuis 1905 et 1968). En France (et partout en Europe, même en Pologne), les cathos pratiquants sont en déclin et globalement peu influents (cf manif pour tous assez minoritaire et déconsidérée).

          Alors que le nombre de pratiquants musulmans augmente. Et l’islam qui progresse est hélas le plus souvent celui des salafistes et radicaux (cf main qui donne). Avec le blanc-seing d’une partie de la gauche « radicale » (LFI en particulier) qui veut faire le plein de ces électeurs, comme le préconisait la note de Terra Nova de 2011 https://www.marianne.net/politique/gauche/terra-nova-il-y-a-10-ans-la-note-qui-fracturait-la-gauche-et-pavait-la-voie-a-macron

    2. Personnellement je ne vois pas la société des loisirs d’un regard aussi sombre. Pour moi c’est une étape. A quoi bon confier notre travail à des machines si ce n’est pas pour aboutir au final à une société des loisirs. Seulement on n’en est qu’au début…

      1. Hello Bruno, je vais répondre avec un peu de retard = 10 ans !!! Désolé, je n’avais pas vu votre message qui s’est perdu, semble-t-il dans les méandres de l’internet électronique.

        Bonne question en effet, j’avoue que je noircit sans doute le tableau. Néanmoins, il y a une conjugaison de facteurs qui font que le temps libre qu’on dégage ne favorise pas ni le bonheur, ni la concorde.
        La vitesse de l’info, le bombardement permanent, la socialisation à tout crin, la grande peur qui monte, l’accroissement des inégalités économiques et socio-culturelles… Tout cela conduit à un repli, une méfiance v/v d’autrui et déstabilise nos sociétés.

        Vous posez aussi la question sous-jacente de la répartition de la valeur des gains de productivité liée à la mécanisation (et ce n’est que le début cf l’IA). celle-ci est très inégalitaire et c’est surtout cela le pb. La société des loisirs ne profite réellement qu’à peu de gens. La majeure partie des gens a un travail pas épanouissant et plutôt, voire très mal payé.

        On a longtemps pensé qu’il suffisait de mettre la culture à la disposition des gens, pour que ça comble les écarts. c’était oublier les fondements structurels des inégalités culturelles : d’abord manque de dispo, manque de bases de connaissances et d’habitudes (qui crée l’appétence) >> les enfants de CSP+ profitent bcp plus des bibliothèques publiques que les catégories populaires.

        Je crains que ce ne soit pas le début d’un progrès, mais plutôt la confirmation d’une tendance inégalitaire, à mesure que l’Etat se désengage de ses missions publiques par orthodoxie budgétaire et pression du monde globalisé et financiarisé (critères de Maastricht, dette publique etc.)

        Mais c’est encore un autre et complexe débat…

  2. Cyrille, j’ai posté un commentaire ce matin ou hier soir ; ce serait-il perdu en cours de route … 🙂

    Bien à vous

    Pascal

  3. Pour compléter ton propos, je cite Zbigniew Brzezinski (ex-conseiller de Jimmy-Carter) et son « tittytainment » : « un cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettrait selon lui de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète. »

    Dans la série médias et politique, il se pose là le monsieur 🙂

    Moi ce qui m’hallucine le plus finalement, ce n’est pas tant la réduction en « valeur » des contenus, mais leur globalisation, leur indexation à un modèle culturel unique.

    Le réel danger c’est ce fantasme de monde-un à la codification simplifiée et s’ajustant au travers de Twitts et/ou de formulaires à remplir.Le plus étonnant dans ce processus serait que même les contre-cultures, sitôt nées, soient rattrapées et transformées en divertissement. Pire même, certaines se créent directement selon le modèle de référence même si leur propos est diamétralement opposées…

    Bref ce qui fait dire à Jean-Claude Milner que « l’arraisonnement du monde par la technique, c’est l’excroissance des cellules cancéreuses de l’État ».
    (Par technique j’entends méthodologies administratives, gestionnaires, et comptables et non technologies, même s’il faut bien reconnaitre qu’en tant que discipline le développement informatique se prête rudement bien à ce genre de rationalisation).

    1. Bonjour Vincent,

      La perte de la diversité culturelle, l’uniformisation du monde ? Oui la mondialisation des échanges et la médiatisation planétaire y conduit, indubitablement. Il n’est que de voir l’occidentalisation des modes de vie dans les pays arabes par exemple, n’en déplaisent aux autorités et aux fondamentalistes religieux. Lesquels rejettent ce modèle unique et posent même des bombes pour lutter contre cette « corruption morale ». Ce qui n’empêche nullement les jeunes femmes wahabites de porter de la lingerie affriolante sous leur niqab.

      Le drame de cette mondialisation est en effet d’offrir un modèle unique de développement économique. Mais sommes-nous vraiment sûrs que cette uniformisation du monde se fasse par la pénurie de l’offre ? Je ne le crois pas. Il n’y a jamais eu autant de diversité culturelle, autant d’ouvrages publiés, de films produits, de scénarios conçus. ce qui pêche c’est la concentration de la distribution et la faiblesse des niveaux d’instruction.

      Le goût de la diversité s’apprend, se cultive. Pourquoi le plus grand nombre se rue systématiquement vers des blockbusters-navets, alors qu’il existe quantité d’autres films inventifs, drôles, novateurs ? Je postule que c’est aussi pour des raisons sociales.

      Comprendre l’ellipse, l’allusion, la connotation, cela s’apprend à l’école et en famille. Alors quand on n’a pas appris, on préfère les récits un peu lourdauds, les dialogues dénotatifs aux ficelles bien grosses. Se moquer du populaire qui ne comprend rien, c’est lui infliger une double peine : le priver d’abord des clés de compréhension, puis le lui reprocher ensuite.

      Formatage par le medium ? genre Marshall Mc Luhan ? « the medium is the message » ? Certes. Mais formaté ne veut pas dire insipide. C’est aux hommes de se montrer créatifs et depuis quand la contrainte est un handicap à la création ? Je crois au contraire qu’elle lui est consubstantielle.

      Formatage par la centralisation gestionnaire, l’Etat totalitaire à la mode « Brazil » ? Peut-être, mais n’oublions pas que c’est nous qui le lui demandons. C’est nous qui demandons au monstre administratif de se charger de tout et lui reprochons après son emprise sur nos vies.
      On ne saurait tout avoir… 🙂

      1. La « censure par noyade », lorsque tout se vaut plus rien ne vaut…
        Pourtant énormément impliqué dans ce que l’on appelle éducation populaire, ou éducation informelle, j’ai du mal à concevoir une issue aussi simple par le biais de l’éducation, puisque les sciences de l’éducation à l’heure actuelle ne font que dicter la tendance du tout cognitivo-sociologiquo-systémique pour ne pas nommer la technique arraisonnante et,trébuchante que je cite plus haut.

        Je pense aussi que le principe de réalité s’effacera toujours devant le principe de plaisir, surtout lorsque ce dernier est légitimé socialement, à travers le jeunisme qui fouette de plein fouet notre société du divertissement.(dans le seul but de fourguer de la démocratie coca-cola) et qui malgré une démultiplication des « créations » ne produit au final que des fictions inoffensives.et ce au travers de perfusion d’état pour toutes les autruches du bac à sable culturel.

        Du coup c’est l’économisme qui frappe en haut comme en bas, à gauche comme à droite, qu’il faut observer, pour enrayer la novlangue que ces nouveaux paradigmes véhiculent puisque même les « contre-pouvoirs » semblent décidés à succomber à ses charmes.

  4. Hello Cyrille,

    Toujours aussi clair et circonstancié !
    …mais où nous mènent donc toutes ces trés lucides constatations ?
    Panem et circences, cette vieille recette est plus que jamais d’actualité, oui.
    Par quoi la remplacer ?
    Quelle serait ton Utopie (cf le dernier philosophie mag ) ?

    A+

    1. Merci Martin !
      Toujours aussi sympa, heureusement que je peux compter sur quelques fidèles lecteurs comme toi 🙂

      Mon utopie est simple et très ambitieuse : retrouver le goût de la connaissance, développer la diversité culturelle, répandre le savoir. Il y a tellement de sagesse accumulée dans les siècles et délaissée pourtant par les Hommes aujourd’hui.

      Relire les Stoïciens, les Epicuriens qui ne sont pas sans rappeler les Bouddhistes sous certains aspects. Combattre nos passions pour nous élever. Trouver d’autres raisons de vivre que la compétition sociale, la concurrence des égos, l’accumulation désespérément vide censés conjurer la mort.

      Mon utopie s’appelle l’école et la culture. Je n’ai pas d’autre solution pour améliorer l’existence des Hommes et les consoler de leur inexorable destin. 🙂

  5. Bonjour,

    J’ai pris beaucoup de plaisir 🙂 à lire cet article et ses commentaires.

    Je voulais juste rebondir sur un autre « phénomène de société » qui découle
    de la recherche de plaisir et d’un besoin d’exutoire et qui est bien triste…
    C’est la démocratisation du gramme de coke et de n’importe quelle autre drogue dure.

    Je trouve cela vraiment triste et révélateur que de plus en plus de jeunes
    et moins jeunes plongent dans ces paradis artificiels pour s’évader de leur quotidien!!

    1. Merci bien Caroline,

      Oui les paradis « artificiels » sont aussi un des symptômes de ce besoin d’échapper au réel. Jusqu’ici c’était les Bourgeois ou aristos des classes aisées qui s’essayaient à ces drogues pour vivre une réalité plus intense : cf Baudelaire, Conan Doyle, Oscar Wilde ou plus récemment François Sagan…

      Aujourd’hui cette quête n’a rien de romantique ni de créatif. Il s’agit d’un échappatoire qu’on retrouve aussi de façon beaucoup plus répandue et dangereuse encore dans la consommation d’alcool.

      Peur de l’avenir, perte de sens, néant des valeurs. Notre jeunesse fait les frais de la déstructuration de la société (famille, emploi…), de la compétitivité exacerbée, des contraintes de la norme sociale (être femme de plus en plus tôt, être un homme mais pas trop viril, être « populaire », être connu…). Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes de moins de 24 ans.

      L’adolescence, sas de la personnalité, antichambre de la construction de l’individu est une période de fragilité et de porosité aux angoisses et pressions de l’existence. C’est aux parents de rassurer, toujours et encore, même quand ils ne le sont pas eux-mêmes. Ils ont ce devoir absolu de mensonge !

  6. Bonjour,

    J’ai pris beaucoup de plaisir 🙂 à lire cet article et ses commentaires.

    Je voulais juste rebondir sur un autre « phénomène de société » qui découle
    de la recherche de plaisir et d’un besoin d’exutoire et qui est bien triste…
    C’est la démocratisation du gramme de coke et de n’importe quelle autre drogue dure.

    Je trouve cela vraiment triste et révélateur que de plus en plus de jeunes
    et moins jeunes plongent dans ces paradis artificiels pour s’évader de leur quotidien!!

  7. Hello Cyrille,

    ( gros succès ton denier article ! chapeau l’artiste ! +technique, donc + pertinent au vu du public visé par ton blog )

    Je souhaitais juste te faire partager une découverte
    Je ne suis pas sûr de t’avoir lu y faire référence dans un de tes articles.

    Il s’agit d’un lien vers le film de Guy Debord :  » la société du spectacle »

    Trés complexe
    Trés extême
    Trés profond

    J’espère que ce sera pour toi le même choc que ça l’a été pour moi : une bombe !!!!

    1. Bonjour Martin,

      Merci pour le compliment et pour le lien.
      J’ai lu cet ouvrage il y a longtemps, qui m’a marqué en effet. Mais je ne connaissais pas ce film.

      je vais le découvrir avec plaisir

      Encore merci !

  8. Hello Cyrille,

    ( gros succès ton denier article ! chapeau l’artiste ! +technique, donc + pertinent au vu du public visé par ton blog )

    Je souhaitais juste te faire partager une découverte
    Je ne suis pas sûr de t’avoir lu y faire référence dans un de tes articles.

    Il s’agit d’un lien vers le film de Guy Debord :  » la société du spectacle »

    Trés complexe
    Trés extême
    Trés profond

    J’espère que ce sera pour toi le même choc que ça l’a été pour moi : une bombe !!!!

    1. Bonjour Martin,

      Merci pour le compliment et pour le lien.
      J’ai lu cet ouvrage il y a longtemps, qui m’a marqué en effet. Mais je ne connaissais pas ce film.

      je vais le découvrir avec plaisir

      Encore merci !

  9. Je ne découvre que maintenant ce magnifique article. Désolé d’apporter un commentaire aussi simple, mais tu matérialises à travers ton blog et tes paragraphes, ce que je pense profondément et pressens depuis quelques temps. Ça fait du bien de lire la réalité 😉

    1. Merci Fab 🙂

      C’est agréable de savoir que son raisonnement , à rencontrer celui des autres, « ne peut qu’il n’ait quelque fondement », pour parler comme Richelieu (un des hommes les plus brillants de son siècle, pourtant riche en génies).

      A bientôt !

      Cyrille

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *