Klout, la bataille sociale se durcit

A l’avènement d’Internet et des « autoroutes de l’information », l’optimisme était de mise. Les nouveaux outils promettaient de rapprocher les gens. L’entraide, l’échange allaient améliorer notre vie et nous rendre meilleurs. Triste constat : les réseaux en réalité rapprochent moins les gens qu’ils ne les sélectionnent.

MEDIA SOCIAUX, LA FIN DU MYTHE DE LA COMMUNION UNIVERSELLE

11 sept. 2011. Les réseaux sociaux sont parvenus à réaliser peu ou prou la prophétie de Marshall Mc Luhan : nous voilà en plein village global. Les distances physiques ont été abolies, nous pouvons communiquer de mieux en mieux avec n’importe qui sur la planète, hier avec le téléphone, aujourd’hui avec du son et de l’image via Skype.

Pourtant le mythe de la grande communion mondiale, du rapprochement social universel a fait long feu. Malgré ses 450 amis, on discute toujours avec les 10 ou 15 mêmes (16 pour les femmes, 10 pour les hommes en moyenne selon Cameron Marlow, sociologue de Facebook). On pourrait bavarder avec ses contacts indiens, russes ou néerlandais. Savoir comment se passe la vie là-bas, comment ils vivent les évènements, quelle est leur vision du monde. Bref, étendre notre champ de perception pour mieux comprendre les choses.

Mais c’est avec son collègue de bureau qu’on échange tous les jours sur Facebook. Comme avec le PC Ultron X2200, ultra-puissant, qu’on s’est fait refourguer par un vendeur malin, ayant su flatter notre ignorance technologique crasse. On dispose d’un matériel capable de calculer les trajectoires des comètes, mais c’est pour écrire des messages furieux à son banquier qu’on l’emploie.

La réalité nous rattrape : les outils de communication ne remplacent pas le fond. Sans proximité intellectuelle, affective voire physique et sans les liens qu’on tisse progressivement avec les autres, la communication ne tient pas. De même que l’utopie d’une curiosité naturelle de l’être humain envers son prochain, très dépendant du niveau d’instruction et des normes éducatives assimilées depuis l’enfance.

UN DEPLACEMENT DES MODES DE SOCIALISATION

Est-ce à dire pour autant que les réseaux sociaux sont inutiles ? Certes non. Facebook a crée un espace intermédiaire tiède entre l’e-mail froid et le téléphone chaud. il permet de garder un oeil distant sur son second cercle d’amis et de maintenir un lien avec un groupe étendu d’amis. Ceux qu’on n’a pas le temps de voir, mais dont le sort ne nous est pas complètement indifférent. Ou garder un contact distant avec cette famille envahissante à qui on peut envoyer la photo du dernier, commenter le succès au bac du petit cousin… sans passer un quart d’heure au bout du fil. Finalement, Facebook, c’est un surtout un gestionnaire social, un outil de contrôle de son temps de communication. Beaucoup à ceux qui nous sont proches, moins aux autres.

De son côté, Twitter est un outil incroyable de réseautage et de découverte professionnelle. S’y fait-on des amis pour de vrai ? Oui, cela arrive, mais ce n’est pas la règle, pour la simple et bonne raison qu’une journée n’a que 24 heures et qu’il faut déjà satisfaire son premier cercle initial. Et puis, comme le savent les amateurs des anciens forums ou chatrooms, il vaut mieux parfois ne pas franchir le miroir d’Alice, sous peine d’être déçu. L’information textuelle, pauvre par nature sur le plan de la qualité d’informations échangées, permet de masquer ses défauts, ses manques. N’oublions pas que l’essentiel de la communication humaine est non verbale, comme l’ont montré les Erving Goffman, Bateson, Birdwhistell et autres chercheurs de l’école de Palo Alto.

Quant aux sites de rencontre, ils restent utiles  pour lutter contre la solitude urbaine et combler les besoins sexuels exubérants d’une société de plus en plus stimulée par  notre environnement. Ils facilitent la mise en relation en milieu urbain après la disparition des anciens lieux de socialisation : place du village, bals, café etc.

C’est donc plus à un déplacement des modes de communication qu’à un renforcement auquel on assiste. Le temps passé sur les réseaux sociaux commence d’ailleurs à empiéter sur l’e-mail, tout comme le jeu commence à prendre le pas sur le cinéma (jusqu’à une fusion entre ces deux univers, tel que le préfigurait Existenz ?).

La compétion socio-économique s'accroît - mediaculture.fr
Crédit photo © jlabianca via Flickr.com

LA COMPETITION AU COEUR DE LA SOCIALISATION

En revanche, les médias sociaux sont en train de devenir un puissant outil de sélection socio-économique. Quand tout le monde a le bac, l’internet haut débit, le dernier écran plat… il faut bien trouver de nouveaux critères de différenciation. Il n’y saurait y avoir que des premiers de la classe.

Les marques ont vite compris l’énorme avantage d’Internet : identifier les leaders d’opinion. Ceux qui sont écoutés et suivis par le plus grand nombre, si l’on en croît la théorie toujours suivie du « two step flow » de 1944. En s’adressant à eux et en les chouchoutant, on peut toucher la masse, à moindre coût. C’est comme cela qu’une poignée de blogueurs influents a pu profiter de la manne des agences de com’, fin des années 2000.

Mais les usages se déplaçant sur les réseaux sociaux, il fallait trouver de nouveaux critères d’influence. Et les marques ont élu Klout en la matière, quoi qu’on puisse penser de ce choix douteux pour mesurer l’influence sociale.

En offrant des avantages à ceux qui dépassent un certain score, elles ne font que renouer l’alliance avec les fameux influenceurs, espérant bénéficier par la suite de leurs relais, car ils ne manqueront pas de s’en gargariser.

Les employeurs aussi s’intéressent à la performance sociale de leurs futures recrues. Et privilégient déjà ceux qui ont su développer une certaine audience et dont ils espèrent bien profiter pour diffuser leurs messages, trouver des collaborateurs etc.

La compétition au départ purement symbolique pour capter l’attention devient donc de plus en plus concrète. Il y a désormais de vrais enjeux économiques : trouver un job, payer ses achats moins cher…

A l’heure où les inégalités de revenus reviennent au centre des préoccupations conjoncturelles de nos élus, cette nouvelle forme de sélection devrait les alerter. Non pas pour tâcher de le réglementer bêtement, par une loi inepte de non-discrimination Twitter à l’embauche. Mais en mettant les moyens sur l’éducation et la formation aux outils sociaux, à commencer par les employés du Pôle emploi.

Cyrille Frank

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17 commentaires sur « Klout, la bataille sociale se durcit »

  1. Arf ! Je vaux pas un Klout !
    Si je te donne mon score après tu voudras plus me parler…
    Ma vie est-elle fichue ?
    Ma copine va t-elle me quitter ?
    Qu’est-ce que je dois faire ?
    Ah oui ! Je sais…
    Me trouver des « besoins sexuels exubérants  »
    Bientôt ma sexetape en ligne…
    (merci pour ton article qui vient de sauver mon 11 septembre)
    :-)))))

    1. Ah c’est gentil Vincent… Cette histoire de Klout, c’est un peu déprimant. J’ai fait une recherche par mot clés sur Twitter. La plupart des messages liés à Klout, c’est ceux qui se plaignent de voir leur score diminuer après les vacances ou ceux qui se félicitent de l’ascension du leur. Un fois de plus, chacun joue à qui a la plus grosse. Et comme le score Klout varie en fonction de l’activité au jour le jour, il pousse clairement à une fuite en avant et un activisme factice. Vanitas, vanitatis… Hahaha, oui il nous reste le sexe, tant qu’à jouer à se comparer l’organe, autant que ce soit pour de vrai… 🙂
      Merci à mon plus fidèle lecteur qui continue de me suivre malgré mes longues absences scripturales !

  2. Non, je t’assure ça valait le coup d’attendre, et même si le truc me dit que j’engage pas assez avec des influenceurs, c’est quand même toi qui reste mon préféré (quoique quand même, toi t’aurais le droit de rentrer dans la soirée) 🙂

  3. « On dispose d’un matériel capable de calculer les trajectoires des comètes, mais c’est pour écrire des messages furieux à son banquier qu’on l’emploie. »

    En ce qui me concerne c’est pour commenter ton article brillant…

    Un score Klout de 97 pour l’internaute c’est un peu comme un 7e dan pour le judoka.

    Le besoin de se mesurer aux autres est somme toute un vieux réflexe humain… « Si à 50 ans t’as pas une Rolex… »

    Ce qui est rassurant dans cette histoire, c’est que si tu n’as pas le budget pour la Rolex, ni le physique pour le 7e dan de judo, tu peux toujours améliorer ton Klout en racontant des histoires à dormir debout.

    Aller, je vais checker mon Klout de ce pas.

    1. Merci bien Luc !

      Ehhh pas mal vu… la quête du Klout serait une forme de revanche des moyens, voire des médiocres ? Une école des fans où chacun peut ramener une bonne note… c’est très vrai.
      La démocratisation de l’orgueil en somme, ultime bien de consommation pour ceux qui ont déjà tout sur le plan matériel…

      A très vite !

      1. Je peux être lourd ? De toute façon, je vais être lourd… 🙂
        Ce ne serait pas inquiétant, si la logique inhérente à ceci ne débordait pas les limites de la poubelle et du divertissement planétaire.
        J’aurais même envie de renverser la proposition et dire que cette logique sous-jacente (mathématisation non – galiléenne) est directement inspirée des dispositifs d’évaluation qui fleurissent de tous bords, conférant ainsi une valeur quantifiable à chaque chose…
        Bref, désopilant lorsqu’il s’agit de marketing et d’internet (quoique je me demande, de plus en plus, si certains ne considéreraient pas le virtuel plus réel que le réel lui-même ?), et dangereux lorsqu’il s’agit de mesurer la « normalité » en psychiatrie, l’efficacité au travail, la performance d’une université, l’égibilité d’un candidat, les marchés financiers, etc. La liste pourrait s’allonger ainsi à l’infini.
        C’est pour cela que je me méfie de la sociologie et de la psycho-sociologie… enfin dans la mesure où de plus en plus, elles se détachent de la recherche fondamentale, pour devenir des sciences appliquées et applicables…

        1. Tout à fait d’accord, la mesurabilité de la performance est probablement encouragée par le système capitaliste, désormais mondialisé. Mais c’est aussi un penchant tout à fait humain je crois de quantifier, mesurer, évaluer afin de pouvoir s’approprier les choses et d’avoir l’illusion de la maîtrise. Si on applique ce souci de contrôle à l’être humain, on voit bien qu’entrer dans cette logique, c’est finalement se placer soi-même la corde au cou.
          Mais pouvons-nous vraiment faire autrement quand tout le système fonctionne comme cela ?

          1. La moindre des choses est de répéter et encore répéter que ce n’est pas parce que nos instincts sont au plus bas qu’il faut les flatter sans cesse…

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