Comment la numérisation tue l’envie

©karindalziel via Flickr

Notre société est de plus en plus dématérialisée. Les technologies de l’information et la numérisation des données rendent impalpables les produits culturels et médiatiques. Ceci favorise leur diffusion, mais atténue leur valeur.

Les billets de banques et chèques disparaissent. Les tickets de métro, entrées au musée, points fidélité au Monoprix sont remplacés par des cartes d’abonnés. Les CD, DVD ou Blue-Ray sont en voie d’extinction. La photo, musique ou vidéo se réduisent à un enchaînement de 0 et de 1.

Désormais la numérisation des données permet de se prendre pour Harry Potter et de réaliser ce rêve d’enfant : puiser dans un sac sans fond pour en faire sortir une bibliothèque, une vidéothèque, une encyclopédie et des centaines d’albums photos. La dématérialisation consacre le triomphe de Platon : l’idée l’emporte sur la chose

C’est bien sûr un progrès, et pas que du point de vue pratique, puisque cela permet la diffusion de la culture auprès du plus grand nombre. Toutefois, cette évolution technologique ne présente pas que des avantages.

UNE PERTE DE L’INFORMATION SENSIBLE

Le problème est que cette digitalisation de notre vie uniformise des produits très différents et les déleste d’une partie de leur valeur affective. C’est un peu comme dans ces films d’anticipation dans lesquels le boeuf bourguignon fumant est remplacé par une pilule aux arômes identiques. Le service est le même, le plaisir non.

Mac Luhan dirait sans doute que le fichier informatique est pauvre en information. Comparé à un livre physique, il y manque l’information tactile, visuelle, olfactive. Le service (musical, photographique, vidéo) demeure, mais au final on y a quand même perdu.

C’est que l’emballage en soi est source de plaisir et sa fonction n’est pas seulement de nous convaincre d’acheter le produit et de faire vivre une floppée de publicitaires. Les gastronomes ne diront pas le contraire : on mange aussi avec les yeux. On dévore aussi un livre avec les doigts, on apprécie aussi un album musical à sa pochette, laquelle véhicule un univers particulier et alimente notre imaginaire.

La dématérialisation joue aussi contre nos instincts de thésaurisation, hérités peut-être de notre passé lointain. Celui où l’accumulation de vivres en hiver était le seul moyen de survivre. Dans le streaming, il n’y a aucune trace physique du produit que l’on a consommé. Le cloud évanescent s’oppose au besoin de se rassurer. Ce besoin, source partielle du plaisir que l’on éprouve à contempler sa bibliothèque : “j’ai lu tout ça, je ne suis pas inculte quand même”.

Ne reste désormais que le souvenir, de plus en plus dur à conserver, car il se perd dans la multitude.

LA PROFUSION DILUE LE PLAISIR

©Fabbriciuse via Flickr

C’est le principe même de la rareté qui fonde la valeur des choses. A être banalisés par une diffusion massive, les produits culturels perdent de leur force émotive. Phénomène d’accoutumance connu des spécialistes de l’addiction : il faut augmenter progressivement la force du stimulus pour obtenir le même effet physiologique, d’où l’augmentation de la consommation d’alcool ou de drogue pour atteindre la même ivresse.

Une orange à Noël était source d’un plaisir immense pour les enfants privés de fruits pendant la guerre. Se rendre au cinéma était un évènement considérable qui nécessitait qu’on s’habille pour l’évènement. La grande parade des dessins-animés du mercredi qui, fin des années 70, offrait 45 minutes de dessins-animés d’affilée était alors une vraie fête pour les enfants.

Désormais l’abondance de l’offre atténue notre plaisir. La multiplication des chaînes de TV, la diffusion musicale ou vidéo en streaming, le cinéma illimité par les cartes d’abonnement, l’encyclopédie Internet gratuite… la culture perd de sa valeur économique et symbolique du fait même de sa facilité d’accès.

C’est la même chose pour les photos numériques. Avant l’ère numérique, on ne ramenait guère plus de 3 ou 4 pellicules de ses vacances (et encore, quand on était un amateur). Et pour cause, chaque pelloche coûtait son pesant de cacahuètes, d’autant qu’il fallait doubler ce montant par le coût du développement. Ça correspondait à une centaine de photos au plus à répartir sur plusieurs semaines.

Autant dire que chaque photo était mûrement réfléchie. La scène en vaut-elle la peine ? Ai-je bien fait mes réglages ? Et quand une photo était réussie, on l’appréciait car il était alors hors de question de la doubler. Le risque d’échec en faisait partiellement la saveur.

Aujourd’hui, on croule sous des milliers de photos qui se ressemblent toutes. Plus besoin de choisir le sujet, de prendre le temps de soigner le cadrage ou la composition. On les corrigera sur l’ordinateur ou on supprimera les plus ratées. Le nombre de photos en soi affadit l’impact émotionnel de chacune : il y a dilution et lassitude. Même les meilleures toile du Louvre finissent par nous laisser froids, quand on voit trop.

STANDARDISATION DE L’EXPÉRIENCE

©Asha ten Broecke via Flickr

Par ailleurs, la numérisation conduit à une certaines dévalorisation des produits culturels par l’homogénéisation de la consommation qu’elle induit.

Malgré la baisse des coûts de production et de distribution, le numérique n’a pas significativement développé la diversité culturelle. Ce sont toujours les mêmes blockbusters qui s’échangent majoritairement en peer to peer, les mêmes artistes ultra-médiatisés qui concentrent l’essentiel des ventes en ligne, les mêmes romans qui cartonnent sur Amazon ou à la Fnac. C’est l’échec de la longue traîne, théorisée par Chris Anderson en 2004.

Certes le lien social se renforce en apparence puisque tout le monde voit et parle des mêmes choses, un phénomène accentué par les réseaux et les mécanismes de recommandation sociale (voici ce que vos amis ont lu, acheté, écouté…)

Mais cette socialisation acrue se fait au détriment de la singularité de l’expérience individuelle. J’écoute Lady Gaga, je lis le dernier Harlan Coben, je regarde Avatar en DVD, comme 90% des gens. Alors comment donner un sens à mon existence, si celle-ci est semblable à tout le monde ?

D’où le succès croissant des concerts de musique, des performances “live”, forcément uniques qui alimentent notre besoin de différenciation. D’où le succès aussi de la personnalisation croissante des produits de grande consommation, de la coque de son Iphone, à la couleur de sa voiture.

La dématérialisation contribue donc à dévaluer les biens culturels par profusion de l’offre, perte de l’expérience sensible, et standardisation des contenus. Mais peut-être n’est-ce qu’une période de transition, le temps que nos vieux réflexes liés au monde tangible s’effacent devant ce qui a le plus de valeur : l’expérience de vie et les souvenirs. Un jour peut-être, certains commerçants nous feront payer la mobilisation à la demande de ces derniers.

Cyrille Frank

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Crédits photo : ©karindalziel ©Fabbriciuse ©Asha Ten Broecke via Flickr

19 commentaires sur « Comment la numérisation tue l’envie »

  1. sans doute n’est-ce qu’une période de transition pour vous; à l’heure actuelle, 15% du top 100 d’amazon US provient d’auto-édités. quant à la musique, en france, selon l’observatoire de la musique, il y a eu 2548 albums produits par les labels indépendants contre 158 chez les majors. arrétez d’aller à la fnac, éteignez votre autoradio. allez sur le web!

    1. 15% d’auto-édités donc 85% de blockbusters ? J’évoquais 90%, on n’est pas loin… 😉 Quand à la masse d’albums produits de façon indépendante, je serais curieux de savoir ce qu’ils représentent en termes de volume de vente.
      Mais vous avez raison, fort heureusement le digital permet une meilleure diversité de l’offre, cependant c’est loin d’être la révolution attendue. On touche de micro-publics, mais c’est déjà ça !

  2. sans doute n’est-ce qu’une période de transition pour vous; à l’heure actuelle, 15% du top 100 d’amazon US provient d’auto-édités. quant à la musique, en france, selon l’observatoire de la musique, il y a eu 2548 albums produits par les labels indépendants contre 158 chez les majors. arrétez d’aller à la fnac, éteignez votre autoradio. allez sur le web!

  3. C’est clair, la diversité et la pluralité des choix ne créent malheureusement ni le lecteur, ni le spectateur, ni le public. Surtout que perdu dans la nasse, rien ne vaut désormais plus qu’autre chose, ce qui n’est qu’une autre forme de censure, la censure par profusion, par noyade. Tout existe mais sans exister, puisque seuls quelques sortis du lots font « référence culturelle », et encore en y regardant de plus près, ces objets s’apparentent davantage à du diversement. Le pire étant peut-être les créateurs qui croient faire de la culture mais abondent de « tittytainment »… La preuve ? Même ici et dès le deuxième commentaire, on se focalise sur la valeur marchande : ce qui marche et donc plait à la masse, par ailleurs peu réputée pour l’exigence de ces choix… Certes restent encore quelques reliquats de l’ancien monde perfusés d’aides de l’état où la patte de Malraux reste tout aussi malheureusement très présente.

    Ce qui est très drôle aussi, c’est que les réseaux sociaux s’offusquent massivement lorsqu’on veut priver une moitié du monde du web, mais sans remarquer que chez nous, bien que l’on puisse dire ce que l’on veut, ce que l’on peut dire reste sans conséquence… voir encore pire, bien que l’on puisse le dire, finalement on ne dit rien… on répète… « Fascisme de perroquet » a dit Hakim Bey comme conclusion de ses réflexions… Il n’avait pas tort.

    1. Bonjour Vincent,

      Ce n’est pas la valeur marchande que je souligne en parlant de volume de ventes, c’est l’indice de diffusion. Il s’agit de savoir combien la culture alternative touche de monde.

      Mais je vais creuser le sujet pour avoir quelques chiffres précis (si possible).

      La grande caisse de résonance médiatique, « fascisme de perroquet » comme tu l’appelles, existe bel et bien. Encore que je trouve ce terme très excessif dans la mesure où nos démocraties, pour viciées qu’elles soient, n’imposent pas une forme ou une autre de culture par la contrainte physique.

      Ce qui change tout, même si d’autres mécanisme d’influence socio-culturels plus insidieux sont à l’oeuvre (ex : la « grand-messe » du 20h)

      Oui, je suis comme toi, et je suis bien heureux qu’on ait préservé des mécanismes d’aide et de subvention publique à la création artistique.

      Je te salue bien 🙂

      1. Oui, bon, d’accord… les ventes peuvent être prises comme indicateur de diffusion… cela dit, je ne l’envisageais pas comme un reproche mais comme un constat, puisque la plupart des prescripteurs soit se font le relais des majors (c.f. la discussion d’en dessous) soit semblent trop occupés à débusquer le géniteur du prochain Harry Potter… Je suis centro-centré sur la littérature, déformation professionnelle.

        Pour des chiffres précis, je peux te dire que chez Edicool, ça se résume à pas grand monde… On est certes pas le centre du Web mais on reflète plutôt bien la tendance 🙂

        Après pour la contrainte physique, oui forcément… quoique j’ai en tête des exemples qui peuvent s’apparenter à un joli chantage affectif pour inciter les publics (surtout les empêchés) à s’asseoir dans les équipements culturels… qu’ils y apprennent quelque chose semble moins important qu’ils y occupent un siège, mais on ne m’a offert une mitraillette pour qu’ils s’y rendent… ce qui est bon signe si l’on a appris à ce contenter de peu 🙂
        Du coup pour rebondir sur le « fascisme du perroquet « , c’est clair que Hakim Bey aime en faire un peu trop, mais dans le fond, il n’a as tort : son objectif (c’est plus sa méthode que son propos qui est intéressante) était d’aboutir à un éveil des consciences (et un de plus) et il n’a réussi qu’à créer un maître (et un de plus)… et dans ce domaine par acte de contrition ou librement consenti… un maître reste un maître… juste j’éprouve plus de sympathie pour ceux qui ne choisissent pas leur geôle… et pour le coup, dans nos sociétés soit-disant évoluées, constater que l’on est toujours aussi dupe me hérisse le poil…

        Enfin bref, rien de bien neuf sous la révolution… pas mal de fantasmes et toujours cette même belle ignorance que la culture est sensée combler… dans ce domaine dispositif d’état ou libre entreprenariat, c’est chou blanc 🙂

        PS: T’as vu ce que tu me fais écrire pendant mes vacances, espèce de vilain va ! 😉

  4. C’est clair, la diversité et la pluralité des choix ne créent malheureusement ni le lecteur, ni le spectateur, ni le public. Surtout que perdu dans la nasse, rien ne vaut désormais plus qu’autre chose, ce qui n’est qu’une autre forme de censure, la censure par profusion, par noyade. Tout existe mais sans exister, puisque seuls quelques sortis du lots font « référence culturelle », et encore en y regardant de plus près, ces objets s’apparentent davantage à du diversement. Le pire étant peut-être les créateurs qui croient faire de la culture mais abondent de « tittytainment »… La preuve ? Même ici et dès le deuxième commentaire, on se focalise sur la valeur marchande : ce qui marche et donc plait à la masse, par ailleurs peu réputée pour l’exigence de ces choix… Certes restent encore quelques reliquats de l’ancien monde perfusés d’aides de l’état où la patte de Malraux reste tout aussi malheureusement très présente.

    Ce qui est très drôle aussi, c’est que les réseaux sociaux s’offusquent massivement lorsqu’on veut priver une moitié du monde du web, mais sans remarquer que chez nous, bien que l’on puisse dire ce que l’on veut, ce que l’on peut dire reste sans conséquence… voir encore pire, bien que l’on puisse le dire, finalement on ne dit rien… on répète… « Fascisme de perroquet » a dit Hakim Bey comme conclusion de ses réflexions… Il n’avait pas tort.

    1. Bonjour Vincent,

      Ce n’est pas la valeur marchande que je souligne en parlant de volume de ventes, c’est l’indice de diffusion. Il s’agit de savoir combien la culture alternative touche de monde.

      Mais je vais creuser le sujet pour avoir quelques chiffres précis (si possible).

      La grande caisse de résonance médiatique, « fascisme de perroquet » comme tu l’appelles, existe bel et bien. Encore que je trouve ce terme très excessif dans la mesure où nos démocraties, pour viciées qu’elles soient, n’imposent pas une forme ou une autre de culture par la contrainte physique.

      Ce qui change tout, même si d’autres mécanisme d’influence socio-culturels plus insidieux sont à l’oeuvre (ex : la « grand-messe » du 20h)

      Oui, je suis comme toi, et je suis bien heureux qu’on ait préservé des mécanismes d’aide et de subvention publique à la création artistique.

      Je te salue bien 🙂

  5. Billet intéressant mais je ne suis pas d’accord avec plusieurs analyses, mais je me concentrerai sur l’argument que la Longue traine a échoué.

    Le postulat de la longue traîne s’appuie sur le commerce physique : là où un espace de vente est limité en termes d’espace, internet me permet de multiplier les références et, conséquemment, de permettre un même accès à des œuvres autrement plus difficiles à trouver car, en grande partie, beaucoup moins demandées par le public. Mais dans le commerce physique tout autant que dans le commerce en ligne, il y aura toujours des blockbusters et des ventes minuscules, toujours des produits culturels qui rencontreront un succès en masse et d’autres qui n’intéresseront qu’une minuscule audience. Pour les marchands en ligne, la longue traine est validée tous les jours : le coût de stockage d’une chanson de Götye est la même que celle d’un chanteur obscur – leur disponibilité est identique, même si le premier va être acheté à 100 000 exemplaires tandis que le second à 2. C’est la somme de tous les « 100 000 » et de tous les « 2 » qui constitue la Longue Traine, et dans tous les cas c’est le commerçant qui gagne grâce à ses linéaires quasi infinis et son absence de logistique (et Apple comme Amazon ne diront pas le contraire).

    Ce qui change en partie, ce qui différencie hier d’aujourd’hui, c’est la place laissée au hasard et la force des différents prescripteurs. Si votre billet fait justement le point sur l’importance de l’écrin dans la décision d’achat (et peut être associé à l’achat d’impulsion qui fait que l’on a très souvent dans son caddy plus de produits que prévus), si vous évoquez les souvenirs comme un des biens les plus précieux (personnellement c’est d’avoir une femme et des enfants, mais chacun ses critères) vous omettez me semble t-il l’importance de la construction des goûts culturels. La puissance de l’industrie culturelle de masse n’arrive toujours pas heureusement à empêcher aux citoyens un peu libres et ouverts d’esprit d’aimer aussi des produits alternatifs – c’est à dire de permettre d’exister même modiquement à ces millions d’œuvres qui ne constituent pas le top 50 mais que les gens lisent ou écoutent.

    A la différence de vous, mon interrogation est aujourd’hui plus liée à l’accompagnement des citoyens jeunes et moins jeunes dans leur apprentissage culturel : comment découvre t-on les œuvres culturelles aujourd’hui ? Donne t-on suffisamment aux citoyens le temps et s’adresse t-on suffisamment à eux dans les médias pour leur donner des repères qui ne soient pas systématiquement guidés par un désir de profit ? Ouvrir les horizons, faire connaître, c’est surtout là que se pose je pense le problème.

  6. Billet intéressant mais je ne suis pas d’accord avec plusieurs analyses, mais je me concentrerai sur l’argument que la Longue traine a échoué.

    Le postulat de la longue traîne s’appuie sur le commerce physique : là où un espace de vente est limité en termes d’espace, internet me permet de multiplier les références et, conséquemment, de permettre un même accès à des œuvres autrement plus difficiles à trouver car, en grande partie, beaucoup moins demandées par le public. Mais dans le commerce physique tout autant que dans le commerce en ligne, il y aura toujours des blockbusters et des ventes minuscules, toujours des produits culturels qui rencontreront un succès en masse et d’autres qui n’intéresseront qu’une minuscule audience. Pour les marchands en ligne, la longue traine est validée tous les jours : le coût de stockage d’une chanson de Götye est la même que celle d’un chanteur obscur – leur disponibilité est identique, même si le premier va être acheté à 100 000 exemplaires tandis que le second à 2. C’est la somme de tous les « 100 000 » et de tous les « 2 » qui constitue la Longue Traine, et dans tous les cas c’est le commerçant qui gagne grâce à ses linéaires quasi infinis et son absence de logistique (et Apple comme Amazon ne diront pas le contraire).

    Ce qui change en partie, ce qui différencie hier d’aujourd’hui, c’est la place laissée au hasard et la force des différents prescripteurs. Si votre billet fait justement le point sur l’importance de l’écrin dans la décision d’achat (et peut être associé à l’achat d’impulsion qui fait que l’on a très souvent dans son caddy plus de produits que prévus), si vous évoquez les souvenirs comme un des biens les plus précieux (personnellement c’est d’avoir une femme et des enfants, mais chacun ses critères) vous omettez me semble t-il l’importance de la construction des goûts culturels. La puissance de l’industrie culturelle de masse n’arrive toujours pas heureusement à empêcher aux citoyens un peu libres et ouverts d’esprit d’aimer aussi des produits alternatifs – c’est à dire de permettre d’exister même modiquement à ces millions d’œuvres qui ne constituent pas le top 50 mais que les gens lisent ou écoutent.

    A la différence de vous, mon interrogation est aujourd’hui plus liée à l’accompagnement des citoyens jeunes et moins jeunes dans leur apprentissage culturel : comment découvre t-on les œuvres culturelles aujourd’hui ? Donne t-on suffisamment aux citoyens le temps et s’adresse t-on suffisamment à eux dans les médias pour leur donner des repères qui ne soient pas systématiquement guidés par un désir de profit ? Ouvrir les horizons, faire connaître, c’est surtout là que se pose je pense le problème.

  7. Bonjour Sébastien,

    Merci pour votre commentaire riche.

    Petit apparté avant d’entrer dans la discussion : pour moi les souvenirs sont à prendre au sens « d’expérience existentielle », car le présent selon moi n’existe pas. Nous sommes dans l’anticipation permanente ou le rappel de ce qui précède (cf Pascal).

    Vos biens les plus précieux : votre femme et vos enfants sont des moteurs décisifs de votre expérience existentielle, qui fabriquent des souvenirs positifs, ce qu’on nomme « le bonheur ». C’est un raccourci, puisque votre famille est rappel mais aussi anticipation d’un souvenir heureux, mais je les classe dans l’expérience de vie positive, en grande partie fondée sur le souvenir 😉

    Je reviens sur le sujet de la longue traîne : je suis d’accord avec vous pour dire que la diversité culturelle existe et que certains citoyens (le plus souvent instruits et de CSP supérieurs) profitent grâce à elle d’un plus grand choix disponible. Malheureusement, cette diversité ne touche pas un public si nombreux car, vous l’abordez dans le dernier paragraphe, leur visibilité médiatique est faible.

    C’est pourquoi je dis que la théorie positiviste de Chris Anderson a échoué. L’accès facile à la production et distribution des oeuvres culturelles ne suffit pas à leur diffusion. Il faut y ajouter la recommandation médiatique, dominée aujourd’hui par les majors.

    Je critique le mythe très anglosaxon du « tout le monde peut y arriver grâce aux nouvelles technologies » qui ajoute à l’inégalité économique et socio-culturelle de base, la culpabilisation des moins favorisés.

    « ouvrir les horizons, faire connaître, dans un esprit non systématiquement guidé par le profit » > 100% d’accord, d’ailleurs je suis fervent défenseur du service public et de la redevance. 😉

    A bientôt !

  8. Bonjour,
    Assez d accord avec vous pour la perte de valeurs affectives des produits, par contre la digitalisation et la diffusion par internet permet par un effet de masse de distribuer des produits hors blockbuster.
    On peut maintenant s autoproduire, et diffuser facilement ( musique, littérature , photo) . Même si cela reste dans un petit volume, le nombre est beaucoup plus important que ce que l on pouvait faire dans les 80s et au début des 90s. Je m’explique :
    Les groupe musicaux jouaient dans des petites salles et ne touchaient que quelques dizaines de personnes, maintenant avec les communautés la diffusion est plus importante.
    De même pour les écrivains poètes qui éditaient leur bouquin à leur frais et qui galerait pour vendre 100 exemplaires….
    Concernant la perte d affectivité envers l objet culturel palpable et sensuel (un bon vieux vinyl avec une pochette super chiade), je ne retrouve pas cette impression chez mes enfants aujourd’hui hui adolescents .
    Pour eux la musique est liée à l objet dont il se serve pour l écouter et donc celui le plus pratique , lecteur, format mp3 etc…le cd trop contraignant!
    Finalement il y a moins d attachement matériel et effectivement une perte de la valeur accordée à celui ci , mais est un mal?
    Ce qu on peut regretter c’est la faiblesse des découvertes hors des major alors que les possibilités de recherche et d accès à toutes les cultures sont ouvertes et offertes.
    Ceci étant dit, le bouche à oreille fonctionne et une petite production à sa chance d être diffusée et connue du plus grand nombre et ça c appréciable.
    Mais je crois que de tout temps, il y a et il y aura une majorité de gens qui suivront ce qui est promu et d autres, une minorité, qui chercheront hors des sentiers battus son chemin vers la culture.
    That’s Life.

    1. Bonjour Manu,

      Merci pour ce commentaire fort pertinent.
      Vous avez raison de le souligner, il y a qd mm une amélioration dans la diffusion des artistes plus confidentiels. C’est mieux que le monopole total des maisons de disques et producteurs des année 50 aux année 2000.

      Je reste toutefois déçu de l’échec de la diversification culturelle pour le plus grand nombre. Mais je ne suis pas naïf, le problème vient avant tout des inégalités d’instruction. De l’école et des inégalités sociales en général.

      Quant à la disparition de l’expérience sensible, en effet, rien de dramatique, sauf que cela devient un frein à la monétisation. Difficile de faire payer quelque chose d’impalpable.

      En agence de pub (young&Rubicam), un commercial me disait que le rapport de 150 page d’analyse stratégique servait à justifier un concept pondu en 10 mn sur un coin de table, le plus souvent. L’idée pure, aussi géniale soit- elle, le client n’aurait pas accepté de la payer aussi cher…

      Par ailleurs, c’est peut-être une question générationnelle… Et, comme vous dites, c’est la vie, je deviens vieux con, c’est tout 😉 j’en ai conscience, c’est déjà ça 😉

      A bientôt !

      cyrille

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