Vivre en harmonie avec son développeur : petit guide de survie

Etre journaliste implique de plus en plus un travail collaboratif avec d’autres métiers : marketing, documentation et de plus en plus : informatique. Or, pour un journaleux, le « geek » n’est pas toujours d’abord facile. Voici quelques astuces pour faciliter le dialogue.

1.

 Ne pas adresser la parole au développeur que lorsqu’on a besoin de lui. Inutile de tenter de rattraper deux ans de totale occultation par un ton particulièrement mielleux. Bizarrement, l’effet pourrait être l’inverse de celui escompté.

2.

Ne pas présumer que le geek ne connaît rien aux sujets non techniques. Comme tout le monde, il peut être très cultivé, même si son éclectisme peut surprendre, qui le fait passer allègrement de Stephen King à Stefen Zweig. Ou de Lautréamont à LOTR, en amont (ok, elle est très mauvaise).

Par ailleurs, sa culture professionnelle et sa conformation d’esprit logique le poussent à creuser les sujets pour comprendre le pourquoi des choses, et à raisonner avec rigueur. Comme nous tous, naturellement, le geek se plante régulièrement, mais du moins, y met-il de la méthode.

3.

Ne pas impliquer son développeur au dernier moment dans le projet, avec des contours aussi flous que les délais sont courts. La mauvaise volonté apparente qu’il manifestera sera à proportion de la marge de manoeuvre et de la considération que vous lui avez témoignées en amont.

4.

Ne pas chercher à bénéficier d’un passe-droit ou d’un coupe-file pour faire passer votre projet sur le haut de la pile. Le geek-informaticien est un idéaliste dans le fond. Il croît aux vertus de l’open-source, du partage, de la transparence. Il croît en l’homme en fait, le malheureux. Chaque fois que vous sollicitez une faveur indue, vous piétinez un peu plus son bel optimisme.

5.

Ne vous formalisez pas s’il reformule votre propos, dans une langue qui vous est totalement étrangère. Le développeur ne mesure pas l’étendue de notre ignorance informatique qui le laisse, la plupart du temps, pantois.

« L’appli en ligne ne se charge pas »

« Ctrl + F5 ? Quelle version du browser ? »

« Mais je parle pas du photocopieur, brother ! »

Bon, c’est aussi une façon de vous faire comprendre qu’il maîtrise (et vous non) et de se valoriser. Soyez indulgent : d’une part vous faites pareil sur d’autres domaines « comment, t’as pas lu Voyage au bout de la nuit?!! ». D’autre part, c’est un réflexe de spécialiste qui aime employer les termes précis, comme votre médecin qui préfère de beaucoup « céphalées » à « maux de tête », ce qui, du coup vous en cause (des céphalées, vous me suivez ?).

6.

Soyez précis et entrez (un minimum) dans sa logique

« Je voudrais développer une carte interactive des résultats pour les municipales »

« Multi-plateforme ? Avec BDD ? Quel volume de trafic attendu ? »

« Heuh, web, mobile et peut-être tablette. Non, Dédé n’est pas dans le projet. Pour le trafic, si ça prend bien, 50 000 visites par jour. Sinon, 200 ? »

7.

Ne cherchez pas à préciser les modalités avant d’avoir défini le besoin. Vous lui volez une grande part de ce qui fait l’intérêt de son job et vous passez à côté de son expertise. Si ça trouve, il a une bien meilleure solution à vous proposer…

« On a besoin d’un site WordPress tout bête, un peu customisé, avec un peu de php et hébergement OVH tout con. C’est pour la semaine prochaine »

« C’est quoi le projet ? c’est quoi l’objectif ? »

8.

Ne cherchez pas à faire « genre ». Vous n’êtes pas expert informatique, ce n’est pas grave. Nul ne saurait être expert de tout et il ferait moins le malin le techos s’il devait écrire un article sur la politique fiscale américaine de la dernière décennie. D’ailleurs, vous ne faites pas le malin non plus, en fait. Vous ne comprenez pas ce qu’il dit ? Dites-le lui et reformulez pour être sûr d’avoir bien saisi la même chose.

« Le problème vient sans doute d’un effet de bord sur la dernière mise à jour du code. Faut que je fasse des tests »

« Tu veux dire que les dernières modifs sur le site ont crée des incompatibilités avec certaines fonctionnalités  ? »

« C’est ça »

D’une manière générale, j’ai remarqué que nous, les garçons, avons du mal à avouer : « je ne sais pas », comme s’il s’agissait d’une faute déshonorante, d’une atteinte à notre virilité… C’est dommage, car cela crée du lien vis à vis de la personne qui va pouvoir nous expliquer les choses et en plus, nous en saura gré de lui avoir donné une occasion de se valoriser.

9.

Intéressez-vous à lui, à son avis d’internaute ou de grand utilisateur du web. Même s’il n’est pas designer, il vous fera des remarques le plus souvent intéressantes sur l’expérience utilisateur ou un défaut de conception qui vous avait échappé. De même qu’il pourra à l’occasion aussi, vous signaler une faute d’orthographe. Il faut cesser de compartimenter les gens, de façon excessive. Chacun son métier, c’est vrai, mais il y a aussi du bon à écouter tout le monde.

10.

Ne vous laissez pas faire ! Le développeur-informaticien est naturellement méfiant vis à vis de ce qui n’entre pas dans ses (son?) codes. Il peut user d’un jargon technicien pour mieux vous maintenir à distance. Il ne faut pas hésiter à lui renvoyer la monnaie de sa pièce, avec humour, ce dont il n’est pas dépourvu, pour peu qu’on y prête attention. S’il vous sort la blague suivante :

« Une requête SQL entre dans un bar et s’adresse à deux tables : « Puis-je vous joindre ? ». »

Demandez-lui le point commun entre un pneu et un lapin. « Ils sont tous les deux en caoutchouc, sauf le lapin ».

Il comprendra mieux votre perplexité à vous.

Nos métiers se complexifient et nécessitent de plus en plus de travailler ensemble, avec des profils de culture très différente. C’est une chance de s’enrichir et de découvrir des gens d’une grande valeur, même s’ils n’ont pas la dernière montre à la mode et n’ont pas été au super concert top branchouille (encore que, vous pourriez être surpris). Profitons-en !

Et vous, ce serait quoi vos conseils ?

PS : j’ai bien sûr forcé le trait et je n’échappe pas aux poncifs que je prétends combattre, mais c’est aussi pour rire.

Cyrille Frank

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22 commentaires sur « Vivre en harmonie avec son développeur : petit guide de survie »

  1. Salut,

    stephen sweig pour stefan zweig? c’était un jeu de mot aussi?

    sinon je suis geek et développeur, et l’un de mes bouquins préférés c’est Voyage au bout de la nuit 🙂 comme quoi les stéréotypes…

    1. Non, c’était une erreur, merci !
      Oui, je dis la même chose : on peut être techos et fan de littérature (cf point 2) et autres…

      La coïncidence est rigolote, mais l’exemple servait juste à montrer qu’on se la pète tous sur les trucs qu’on connaît.

      Mais oui, évidemment, ce papier est plein de stérèotypes, c’est l’idée qu’il faut retenir : nous sommes différents, il faut apprendre à se parler, mais au final, c’est un enrichissement. Dit comme ça, c’est une plus aride, voyez ce que je veux dire… 😉

      A bientôt !

  2. J’aurais pu l’écrire ! mais avec moins de talent sans doute !
    Et j’aurais remplacé le journaliste par le documentaliste multimédias.
    Merci pour ce bon billet que je transfère direct à mes élèves documentalistes !

    1. Merci Pettens !

      J’étais sûr que ce problème pouvait s’appliquer à bien des profils, même si les exemples sont différents… A la base une culture et des habitudes différentes et un grégarisme (quand ce n’est pas un sectarisme).

      ça peut marcher dans les deux sens …

      Merci de me lire et me soutenir !:-)

  3. 11) Ne dites pas à un développeur que votre mari, votre femme,votre petit neveu, ou votre grand mère est « ingénieur informatique » et que donc vous savez ou se trouve le problème, ça ne peut pas l’aider. 🙂

    1. Lôtre,

      Hahaha, pas faux. Quand bien même ce serait vrai, le développeur va passer par son propre process d’analyse, sans tenir compte des indices du client.

      « Mon petit fils qui s’y connaît pense que c’est un problème de cache, de hardware, de conflit de plug-ins… » C’est possible, mais il faudra repartir de zéro, de toute façon… 😉

  4. Que se passe-t-il Erwan Gaucher, depuis des mois, l’accent général est mis sur les nouvelles casquettes des « Journalistes », qui se devraient d’être désormais développeurs ?
    Commence-t-on à se dire qu’il faudrait (re)travailler en Presse collaborative, (même en Web/Net, pas si net !) avec d’autres individus, vrais professionnels, genre: Photographes, Graphistes, secrétaires…?

    1. Bonjour Martial,

      Je suis Cyrille Frank, pas Erwann Gaucher, même si la confusion ne me gêne en aucune façon ! 🙂

      Pour ma part, j’ai toujours prôné la collaboration plus que la polyvalence, pour atteindre un certain niveau de qualité.

      Après ce sont les difficultés financière de la presse qui expliquent aussi les fusions de métiers. Ce qui est sûr en revanche, c’est que pour mieux travailler avec autrui, il faut comprendre sa culture. D’où au moins de l’initiation au design, au code, à la maquette et autre.

      D’une manière générale, la culture gé sert l’adaptabilité et la performance, avec une dose de spécialisation quand même, un « métier » comme on dit 🙂

      Cordialement

      Cyrille

  5. Génial ! J’adore cet article ! 😉 Mon mari est développeur et on communique comme ça lorsqu’on doit travailler ensemble sur certains projets ! 😉 Je partage !

    1. Merci Sophie !
      Ravi de voir que ma méthode empirique a d’autres adeptes. Bon rien de révolutuonnaire, on appelle cela vulgairement de l’écoute … 🙂

      A bientôt !

  6. Beaucoup de clichés, mais justes, « trop* justes, et tellement rafraichissant.
    C’est toujours intéressant de passer au travers de la loupe d’un autre.

    En particulier, je suis également formateur en « méthodes de développement (informatiques) », et je reprendrai ta phrase :
    « Comme nous tous, naturellement, le geek se plante régulièrement, mais du moins, y met-il de la méthode. »
    J’adore.

    Enfin, pour faire écho à Martial :
    j’ai a peu près le même âge que toi (on peut se tutoyer dans ce monde de NTIC sans que se soit un manque de respect), et je suis passé par une classe de Prépa Bio (avant de (mal) finir ingénieur en informatique), et mon prof de bio de première année, qui partait en retraite, et qui était à l’école lorsque Mendel a publié ses lois sur la génétique, de nous dire : « Aujourd’hui, devant la masse de connaissances, les généralistes sont de plus en plus rares, remplacés par des spécialistes ». C’était en… 199x, mais c’est aujourd’hui de nouveau d’actualité dans les nouvelles technologies.
    Du coup, je te rejoins sur le fait de prôner « la collaboration plus que la polyvalence ».

    Encore merci

    — un informaticien qui se soigne

    1. C’est moi qui te remercie Jacques,

      Heureux que ça t’ait plu et que tu y ait vu quelque justesse, même si j’ai naturellement exagéré et généralisé un brin. Mon dieu qu’une vie sans excès serait pénible ! 🙂

      Pour être plus précis, je dirais que la spécialisation/polyvalence est cyclique mais que la nécessité de collaborer est constante

      http://www.mediaculture.fr/2013/01/20/data-journalisme-infographistes-danger/

      Merci de me lire et me soutenir et à très bientôt !

      Cyrille

  7. « …Il croît aux vertus de l’open-source… » ahahaha comme c’est cliché ^^

    les points 1 et 7 sont des classiques, ca fait plaisir de lire ce genre de choses 🙂

  8. « …Il croît aux vertus de l’open-source… » ahahaha comme c’est cliché ^^

    les points 1 et 7 sont des classiques, ca fait plaisir de lire ce genre de choses 🙂

  9. Excellent ce billet 🙂

    Bon alors, effectivement, les clichés sont parfois sévères. Analyste programmeur de métier (développeur quoi !), je ne me suis jamais senti l’âme d’un geek, et ai au final joué de mes « qualités » pour exercer plusieurs métiers et plus particulièrement la photographie d’illustration et l’écriture (quelques livres à mon actif…)

    Mais il est certain que dans le cadre d’un métier « créatif » au sens large (dans mon cas photographe, mais c’est aussi valable pour les journalistes, graphistes, écrivains, etc. – liste bien évidemment non exhaustive), posséder des compétences de développeur est un atout indéniable.

    Mais s’il est également vrai que le développeur possède son langage propre, il faut se dire que chaque métier en est de même. Il n’est pas rare que lors de réunions avec mes collègues administrateurs et techniciens « réseaux système » je sois paumé dans les conversations. Et pourtant, nous sommes tous « informaticiens » 😉

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